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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/441

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au besoin, me servir de mes propres mains : cette privation de plus serait peu de chose au milieu des souffrances dont il nous entourait. »

Alors commencèrent à ce sujet une foule de messages et de notes. Sir Hudson Lowe écrivait jusqu’à trois ou quatre fois par jour à l’officier de garde, chargé de me donner autant de communications. Sir Hudson Lowe ne comprenait pas mes difficultés, disait-il, et n’imaginait pas quelle objection je pouvais avoir contre un domestique donné de sa main… Celui qu’il aurait choisi en vaudrait bien un autre… Son offre de le choisir lui-même n’était qu’une attention de sa part, etc.

Je souffrais des allées et venues du pauvre officier, et j’en étais fatigué pour mon compte. Je le priai donc, pour épargner ses pas, d’assurer le gouverneur que ma réponse demeurait toujours la même ; savoir, qu’il pouvait bien m’enlever mon domestique, mais qu’il ne devait pas songer à m’en faire accepter un de son choix ; qu’il pouvait bien mettre garnison chez moi par la force, mais non jamais de mon propre consentement. Cependant, durant tous ces colloques, on avait fait venir mon domestique, on l’avait questionné, on l’avait retiré une première fois de mon service, puis rendu, et enfin retiré tout à fait.

Je rendis compte du tout à l’Empereur, qui m’approuva fort de n’avoir pas voulu laisser introduire un espion, disait-il, au milieu de nous. « Mais comme votre privation, ajouta-t-il d’une manière charmante, est dans l’intérêt de tous, il n’est pas juste que vous en souffriez seul ; faites venir Gentilini, mon valet de pied, qu’il prenne son service auprès de vous ; il sera enchanté de gagner quelques napoléons de plus ; vous lui direz d’ailleurs que c’est par mon ordre. » Gentilini s’y rendit d’abord avec gaieté ; mais le soir même le pauvre garçon vint me dire qu’on lui avait fait observer qu’il n’était pas convenable qu’un domestique de l’Empereur servît un particulier !!!… Et l’Empereur poussa la bonté jusqu’à faire venir Gentilini pour lui en donner l’ordre de sa propre bouche…

C’était ainsi que ce gouverneur continuait à nous persécuter journellement et sous toutes les formes, bien que je n’en disse plus rien : non que je m’y fusse accoutumé, mais parce que dans la masse de nos peines, celles qui ne nous venaient que de sa mauvaise humeur n’étaient plus que de légers accessoires. Et en effet, qu’auraient-elles pu être auprès de nos grandes misères ?…

Si l’on s’est bien pénétré de toute l’horreur de notre situation, on me voit jeté, et probablement pour jamais, sur une plage déserte à deux mille lieues de la patrie, confiné dans une étroite prison, sous un ciel,