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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/440

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l’on compte soi-même sur les siens au dehors, on peut se trouver n’avoir posé le pied que sur un abîme recouvert de fleurs. En tout, c’est une chimère que de croire que ces alliances garantissent ou assurent jamais rien. »

Quoi qu’il en soit, la mesure d’un nouveau mariage transporta d’aise les citoyens sages qui cherchaient un avenir. Napoléon, peu de jours après cette détermination, dit à un de ses ministres (le duc Decrès), dans un moment de gaieté : « On est donc bien joyeux de mon mariage ? – Oui, Sire, beaucoup. – J’entends, c’est qu’on suppose que le lion s’endormira. – Mais, Sire, pour dire le vrai, nous y comptons un peu. – Eh bien ! dit Napoléon après quelques instants de silence, l’on se trompe, et ce n’est pas aux vices du lion qu’il faudra s’en prendre. Le sommeil lui serait aussi doux peut-être qu’à tout autre ; mais ne voyez-vous pas qu’avec l’air d’attaquer sans cesse, je ne suis pourtant jamais occupé qu’à me défendre. » Cette assertion a pu laisser des doutes tant qu’a duré la lutte terrible ; mais la joie et les indiscrétions de la victoire sont venues depuis consacrer la vérité. On a vu les uns se vanter qu’ils auraient continué la guerre jusqu’à ce qu’ils eussent abattu leur ennemi ; qu’ils n’avaient jamais eu d’autre pensée. D’autres[1] n’ont pas craint de publier que c’était sous le masque des alliances du sang même et sous celui de l’amitié qu’ils avaient ourdi le complot de sa chute !…

Aujourd’hui et les deux jours suivants ont été pour moi remplis par une tracasserie qui m’était personnelle, et qui a trop influé sur mes destinées pour que je ne la mentionne pas ici. Depuis mon séjour à Longwood, j’avais pour domestique un jeune habitant de l’île, mulâtre libre dont j’avais lieu d’être fort content ; tout à coup il prit fantaisie à sir Hudson Lowe de m’en priver.

Poussé par son occupation ingénieuse à nous tourmenter, ou, comme beaucoup d’autres se sont obstinés à le penser, par suite d’un plan perfidement combiné, il me dépêcha l’officier de garde anglais pour m’annoncer qu’ayant conçu quelques inquiétudes sur ce que mon domestique était natif de l’île, il allait me le retirer, et le remplacerait par un autre de son choix. Ma réponse fut simple et positive : « Le gouverneur, disais-je, pouvait m’enlever mon domestique si cela lui plaisait ; mais il devait s’épargner la peine de le remplacer par un autre de son choix. J’apprenais chaque jour à me détacher des jouissances de la vie. Je saurais,

  1. Observateur autrichien, 1817 ou 1818.