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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/447

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mettre en pratique, il m’eût fallu une profonde paix. Une armée de guerre ne le permettait pas ; elle se fût révoltée, elle m’eût envoyé promener, etc. »

Puisque j’en suis à ce sujet, je vais réunir ici quelques notes éparses, recueillies à différents instants sur les innovations projetées par l’Empereur, non seulement sur l’armée, mais encore sur beaucoup d’autres objets essentiels à l’organisation sociale.

L’Empereur avait le projet, à la paix générale, nous a-t-il dit plus d’une fois, d’amener chaque puissance à une immense réduction des armées permanentes. Il eût voulu que chaque souverain se bornât à sa seule garde, comme cadre du reste de l’armée à composer au besoin. Il eût voulu, s’il avait été contraint de conserver une forte armée en temps de paix, l’employer aux travaux publics, lui donner une organisation, une tenue et une manière de se nourrir tout à fait spéciale.

Il avait éprouvé, disait-il, que la plus grande gêne dans ses plans de campagnes et ses grandes expéditions venait de la nourriture moderne des soldats, du blé qu’il fallait trouver, de la farine qu’il fallait obtenir en le faisant moudre, enfin du pain qu’il fallait parvenir à faire cuire. Or la méthode romaine, qu’il approuvait fort, et qu’il eût adoptée en tout ou en partie, eût remédié à tous ces inconvénients. « Avec elle, disait l’Empereur, on allait au bout du monde ; mais encore fallait-il du temps pour amener à la transition d’un tel régime, il ne pouvait s’opérer par un simple ordre du jour. J’en avais eu la pensée depuis longtemps ; mais, quelle qu’eût été ma puissance, je me fusse bien donné de garde de le commander. Il n’est point de subordination ni de crainte pour les estomacs vides. Ce n’était qu’en temps de paix et à loisir qu’on eût pu y arriver insensiblement ; je l’aurais obtenu en créant des mœurs militaires nouvelles. »

L’Empereur eut constamment tenu à faire passer toute la nation par l’épreuve de la conscription. « Je suis intraitable sur les exemptions, disait-il un jour au Conseil d’État ; elles seraient des crimes. Comment charger sa conscience d’avoir fait tuer l’un au détriment de l’autre ? Je ne sais même pas si j’exempterai mon fils. » Et, dans une autre occasion, il disait encore que la conscription est la racine éternelle d’une nation, l’épuration de son moral, la véritable institution de toutes ses habitudes. Et puis la nation, ajoutait-il, se trouvait de la sorte toute classée dans ses véritables intérêts pour sa défense au dehors et son repos au-dedans. « Organisé, maçonné de la sorte, disait-il, le peuple français eut pu défier l’univers, il eût pu, et avec plus de justesse, re-