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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/470

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gination comme dans le calcul, la force de l’inconnu est incommensurable. »

– « Allez, Monsieur, courez, disait d’ordinaire l’Empereur après avoir donné une mission importante ou tracé la marche d’un grand travail, et n’oubliez pas que le monde a été fait en six jours. »

Dans une occasion de ce genre, il terminait vis-à-vis de quelqu’un, disant : « Demandez-moi tout ce que vous voudrez, hormis du temps : c’est la seule chose hors de mon pouvoir. »

Une autre fois, ayant donné un travail fort pressé, qu’il attendait dans la journée même, on ne le lui apporta que le lendemain très tard ; l’Empereur s’en montrait mécontent ; et comme la personne, pour se justifier, l’assurait qu’elle avait travaillé tout le jour : « Mais, Monsieur, n’aviez-vous pas encore toute la nuit ? » lui repartit Napoléon.

– L’Empereur, s’occupant soigneusement de la commodité et des embellissements des marchés de la capitale, avait coutume de dire : « La halle est le Louvre du peuple. »

– L’égalité des droits, c’est-à-dire cette même faculté pour chacun d’aspirer, de prétendre et d’obtenir, était un des grands traits du caractère de Napoléon, inné en lui, tout à fait dans sa propre nature. « Je n’ai pas toujours régné, disait-il ; avant d’avoir été souverain, je me souviens d’avoir été sujet ; et je n’ai pas oublié tout ce que ce sentiment de l’égalité a de fort sur l’imagination, et de vif dans le cœur. » Il en disait de même de la liberté.

Donnant un jour un projet à rédiger à un de ses conseillers d’État, il lui disait : « Surtout n’y gênez pas la liberté, et bien moins encore l’égalité ; car, pour la liberté, à toute rigueur, serait-il possible de la froisser, les circonstances le veulent, et nous excuseront ; mais, pour l’égalité, à aucun prix. Dieu m’en garde ! Elle est la passion du siècle, et je suis, je veux demeurer l’enfant du siècle ! »

– Le mérite était un à ses yeux, et récompensé de même ; aussi voyait-on les mêmes titres, les mêmes décorations atteindre également l’ecclésiastique, le militaire, l’artiste, le savant, l’homme de lettres ; et il est vrai de dire que jamais nulle part, chez aucun peuple, à aucune époque, le mérite ne fut plus honoré, ni le talent plus magnifiquement récompensé. Ses intentions là-dessus étaient sans bornes. J’ai déjà rapporté qu’il dit un jour : « Si Corneille vivait, je le ferais prince. »

– L’Empereur disait un jour à Sainte-Hélène : « Je crois que la nature m’avait calculé pour les grands revers ; ils m’ont trouvé