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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/471

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une âme de marbre, la foudre n’a pu mordre dessus, elle a dû glisser. »

– Une autre fois, à l’occasion d’une nouvelle vexation, il échappa à l’un de ceux qui étaient auprès de Napoléon de s’écrier : « Ah ! Sire, voilà bien de quoi vous faire haïr les Anglais encore davantage. » Sur quoi Napoléon, haussant les épaules, lui répondit moitié gaieté, moitié commisération : « Homme à préjugé, esprit commun et vulgaire, demandez-moi plutôt, et tout au plus, si je haïrais davantage tel ou tel Anglais. Mais, puisque nous y sommes, sachez qu’un homme, véritablement homme, ne hait point ; sa colère et sa mauvaise humeur ne vont point au-delà de la minute, le coup électrique… L’homme fait pour les affaires et l’autorité ne voit point les personnes ; il ne voit que les choses, leur poids et leur conséquence. »

– Dans une certaine circonstance, il disait qu’il ne doutait nullement que sa mémoire ne gagnât beaucoup à mesure qu’elle avancerait dans la postérité ; les historiens se croiraient obligés de le venger de tant d’injustices contemporaines. Les excès entraînent toujours leurs réactions ; d’ailleurs, à une grande distance, on le verrait sous un jour plus favorable, il paraîtrait débarrassé de mille encombrements ; on le jugerait dans les grandes vues, et non dans les petits détails : on planerait sur les grandes harmonies ; les irrégularités locales demeureraient inaperçues : surtout on ne l’opposerait plus à lui-même, mais à ce qu’on aurait alors sous la main, etc. ; et il concluait que dès aujourd’hui, comme dans ces temps-là, il pourrait se présenter avec fierté devant le tribunal le plus sévère, et lui soumettre tous ses actes privés, il s’y montrerait vierge de crime.

– L’Empereur me disait un jour qu’il concevait dans sa tête et se proposait d’entreprendre son Histoire diplomatique, ou l’ensemble de ses négociations, à partir de Campo-Formio jusqu’à son abdication. S’il a accompli sa pensée, quel trésor historique !

L’Empereur, parlant d’éloquence militaire, disait : « Quand, au fort de la bataille, parcourant la ligne, je m’écriais : Soldats, déployez vos drapeaux, le moment est venu ! il eût fallu voir nos Français, ils trépignaient de joie ; je les voyais se centupler ; rien alors ne me semblait impossible. »

On connaît une foule d’allocutions militaires de Napoléon. En voici une que je tiens de celui-là même qui l’a recueillie sur le terrain. Passant en revue le second régiment de chasseurs à cheval, à Lobenstein, deux jours avant la bataille d’Iéna, il demande au colonel : « Combien