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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/484

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guerre ! Quel est l’homme de sang-froid, de tant soit peu de jugement et de justice qui oserait me condamner ? De quel côté ne jetterait-il pas le blâme, l’odieux, le crime ? Le sang appelle le sang ; c’est la réaction naturelle, inévitable, infaillible ; malheur à qui la provoque !… Quand on s’obstine à susciter des troubles civils et des commotions politiques, on s’expose à en tomber victime. Il faudrait être niais ou forcené pour croire et imaginer, après tout, qu’une famille aurait l’étrange privilège d’attaquer journellement mon existence, sans me donner le droit de le lui rendre, elle ne saurait raisonnablement prétendre être au-dessus des lois pour détruire autrui et se réclamer d’elles pour sa propre conservation : les chances doivent être égales.

« Je n’avais personnellement jamais rien fait à aucun d’eux ; une grande nation m’avait placé à sa tête : la presque totalité de l’Europe avait accédé à ce choix ; mon sang, après tout, n’était pas de bouc ; il était temps de le mettre à l’égal du leur. Qu’eût-ce donc été si j’avais étendu plus loin mes représailles ! Je le pouvais : j’eus plus d’une fois l’offre de leurs destinées ; on m’a fait proposer leurs têtes, depuis le premier jusqu’au dernier ; je l’ai repoussé avec horreur. Ce n’est pas que je le crusse injuste dans la position où ils me réduisaient ; mais je me trouvais si puissant, je me croyais si peu en danger, que je l’eusse regardé comme une basse et gratuite lâcheté. Ma grande maxime a toujours été qu’en guerre comme en politique, tout mal, fût-il dans les règles, n’est excusable qu’autant qu’il est absolument nécessaire : tout ce qui est au-delà est crime.

« On aurait eu mauvaise grâce à se rejeter sur le droit des gens, quand on le violait si manifestement soi-même. La violation du territoire de Bade, sur laquelle on s’est tant récrié, demeure étrangère au fond de la question. L’inviolabilité du territoire n’a pas été imaginée dans l’intérêt des coupables, mais seulement dans celui de l’indépendance des peuples et de la dignité du prince. C’était donc au souverain de Bade seul à se plaindre, et il ne le fit pas ; qu’il ne cédât qu’à la violence et à son infériorité politique, nul doute ; mais encore que faisait tout cela au mérite intrinsèque des machinations et des attentats dont j’avais à me plaindre et, dont je pouvais, en tout droit, me venger ? » Et il concluait alors que les véritables auteurs, les seuls vrais et grands responsables de cette sanglante catastrophe, étaient, au dehors, précisément les auteurs, les fauteurs, les excitateurs des assassinats tramés contre le Premier Consul. « Car, disait-il, ou ils