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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/50

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le livre de leur gloire et de leurs droits, etc. Il ne croyait pas néanmoins qu’il dût y mettre son nom, et répétait que les diverses époques de ses Mémoires consacreraient ceux de ses compagnons fidèles, etc.

À l’arrivée de la calèche, la conversation continuant sur le même sujet, on l’a fortement pressé de finir 1815 ; on en a vivement développé l’importance, la gravité, les résultats. « Eh bien ! a-t-il dit en souriant, il faut que je m’y remette tout à fait : cela fait plaisir de se voir encourager ; mais encore faut-il de la bonne humeur pour travailler. L’on ne nous abreuve ici que de dégoûts et de tracasseries ; on semble nous envier l’air que nous respirons. »

Rentré dans sa chambre, où je l’ai suivi, la conversation a été des plus intéressantes et fort remarquable. Il a été question de Gustave III, de la Suède, de la Russie, de Gustave IV, de Bernadotte, de Paul Ier, etc., etc.

J’ai raconté qu’à Aix-la-Chapelle Gustave III vivait au milieu de nous (les émigrés) en simple particulier, sous le nom de comte de Haga. Il faisait le charme de la société par la vivacité de son esprit et l’intérêt de ses récits. J’avais ouï de sa bouche sa fameuse révolution de 1772, et j’étais dans la position la plus heureuse pour connaître à fond cette époque de l’histoire de Suède ; je me trouvais fort de connaissance dans le même temps avec le Suédois baron de Sprengporten, qui, après avoir été fort zélé pour Gustave, avait eu le malheur de passer en Russie pour revenir à la tête des étrangers combattre sa patrie. Il en était résulté qu’il se trouvait par ce fait sous une condamnation à mort en Suède. Or, il était aussi à Aix-la-Chapelle en ce moment, et s’en était banni par courtoisie, disait-il, à l’arrivée de Gustave. Il ne s’était pourtant pas éloigné de plus d’une demi-lieue, de sorte que tout ce que j’entendais raconter au roi dans la soirée m’était, le lendemain à déjeuner, combattu, modifié ou confirmé par le baron. Il avait été fort avant dans la confiance de ce prince.

L’Empereur observait que ce même Sprengporten avait été précisément l’envoyé de Paul auprès de lui lors de son consulat. Et sur Gustave IV, il a dit que ce prince s’était annoncé au début pour un héros, et n’avait fini que comme un fou ; qu’il avait marqué de bonne heure par des traits fort remarquables. Encore enfant, on l’avait vu, disait-il, insulter Catherine par le refus de sa petite-fille au moment même où cette grande impératrice, sur son trône et au milieu de sa cour, n’attendait plus que lui pour la cérémonie du mariage, et le tout parce qu’on lui proposait de violer une des lois religieuses de la Suède.

Plus tard il n’avait pas moins insulté Alexandre au nom de la morale