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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/514

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énergique ; je la transcris ici en note, parce que les papiers ne l’ont publiée qu’imparfaite[1]. Pour nous, Monseigneur, nous nous demandions, dans l’amertume de nos cœurs et l’indignation de tels actes : Quel est donc ce guet-apens ? Ne sommes-nous plus parmi les nations civilisées ? Où en est donc le droit des gens, la morale publique ? Nous en appelions à Dieu qui venge les perfidies ; nous le prenions à témoin de la bonne foi trahie, il me serait difficile de vous rendre la tempête qu’allumait en nous cet abus insultant de la force et du mensonge sur notre innocente crédulité. Encore à présent, de vous en parler, Monseigneur, me fait courir le sang plus vite. Nous lisions dans les papiers qu’on nous avait faits prisonniers, nous qui étions venus si librement et avec tant de magnanimité ! Que nous avions été contraints de nous rendre à discrétion, nous qui avions dédaigné par grandeur d’âme de profiter des hasards de la guerre sur terre, et qui eussions pu tenter le sort des armes par mer ! Et qu’aurait donc eu de pire notre traitement, si nous n’eussions succombé qu’à la force ? Qui osera douter que nous n’eussions épuisé toutes les chances, couru même volontiers celle d’une mort certaine, si nous eussions pu soupçonner le sort qui nous était réservé ? Mais la lettre même de l’Empereur au Prince-Régent met hors de doute les intentions de la croyance réciproque. Le capitaine anglais, à qui elle fut communiquée d’avance, les avait sanctionnées tacitement en n’y faisant aucune objection. On nous a dit plus tard que le traitement de l’Empereur Napoléon n’était pas un acte exclusif de l’Angleterre, mais une convention des quatre grands pouvoirs alliés. Vainement les ministres britanniques croiraient par là couvrir la tache dont ils ont flétri leur nation ; car on leur crie : Ou vous aviez arrêté cette convention avant d’avoir en vos mains l’illustre victime, et vous avez eu l’indignité de lui tendre un piège pour vous en saisir ; ou bien vous ayez conclu quand elle était déjà en votre pouvoir, et alors vous avez commis le crime de sacrifier l’honneur de votre pays, la sainteté de vos lois à des considérations étrangères auxquelles rien ne pouvait vous contraindre.

Que de maux ces violations monstrueuses préparent à notre pauvre Europe ! Que de passions elles vont rallumer ! Qui ne voit dans ces mesures arbitraires et tyranniques, dans ce mépris de toutes les lois vis-à-vis de l’Empereur Napoléon, une réaction étudiée de doctrines politiques ? La tempête était apaisée, on la réveille. On affecte de répéter sans cesse que la révolution s’éteint dans la proscription de Napoléon : aveu-

  1. Voyez cette protestation au tome Ier.