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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/516

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par un mouvement touchant, formaient un cercle autour de lui pour le préserver de toute injure. L’Empereur se retirait dans sa chambre de très bonne heure. Ce fut là sa vie de tous les jours.

« Arrivés à Sainte-Hélène, après deux ou trois jours de mouillage nous fûmes débarqués à la nuit dans James-Town, espèce de village, de colonie, ou de hameau composé de quelques maisons, parmi lesquelles la relâche annuelle de la flotte des Indes en a fait construire quelques-unes assez considérables, pour la commodité des voyageurs.

« Le lendemain au matin, l’Empereur, conduit par l’amiral, fut voir, dans l’intérieur de l’île, la demeure qu’on lui destinait. Elle demandait des réparations absolues, qui ne pouvaient être prêtes de quelques jours. L’Empereur devait donc revenir à James-Town, où la chaleur était suffocante, insalubre, sans parler d’autres inconvénients plus graves encore, surtout celui d’une curiosité importune. Il préféra de s’arrêter à trois ou quatre milles de la ville, et me fit venir le soir même : le peu d’espace de cette nouvelle demeure ne permettait d’admettre personne autre. C’était une espèce de guinguette, à cinquante pas de la maison du propriétaire, composée d’une seule pièce au rez-de-chaussée, de quelques pieds carrés. L’Empereur y fit dresser un lit de campagne, et dans cette seule pièce il dut dormir, s’habiller, travailler, manger et se promener. Je couchais au-dessus dans une petite mansarde, où mon fils et moi avions à peine notre surface ; les valets de chambre de l’Empereur couchaient par terre en travers de sa porte. La famille du propriétaire, tout à fait honnête et bonne, était à cinquante pas. Il y avait deux petites demoiselles de treize à quatorze ans : ce sont elles sur lesquelles les papiers-nouvelles se sont trouvés si heureux de pouvoir s’égayer. L’Empereur y entra quelquefois les premiers jours. Mais les qualités hospitalières du propriétaire y réunissant souvent des curieux, l’Empereur y renonça. Les autres officiers de sa suite, qui étaient demeurés à la ville, venaient auprès de lui le plus souvent qu’ils le pouvaient ; mais, à cause des méprises ou de la confusion des consignes, c’était presque toujours au travers des mortifications et des peines. L’Empereur était très mal, plus mal encore que vous ne l’imaginerez, Monseigneur. On était obligé, les premiers jours, d’apporter son dîner de la ville. Plus tard, on trouva moyen d’organiser une cuisine tant bien que mal. Il ne fut jamais possible de lui procurer un bain, bien que ce fût devenu pour lui un objet de première nécessité. Il était obligé de sortir de sa chambre pour qu’on pût la balayer et faire son lit. Nous nous promenions sur le sol rocailleux autour