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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/520

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dire qu’il ne s’apercevrait pas si toutes ces choses étaient bonnes, est sensible néanmoins à ce qu’elles se trouvent si mauvaises. Il ne se plaint pas, il vivrait de la ration du soldat ; mais enfin il en souffre, et nous encore en souffrons pour lui bien davantage. Croirait-on jamais que l’autorité se soit opposée à ce que notre sollicitude attentive cherchât à lui procurer, à son insu, ces petites jouissances !

« L’Empereur n’a aucune distraction extérieure. Il ne reçoit plus ou à peu près : le nouveau gouverneur a mis aux visites de telles difficultés qu’elles équivalent à une interdiction. L’Empereur lui-même y a trouvé des inconvénients qui l’en ont éloigné : les voyageurs venaient employer auprès de nous les plus ardentes sollicitations pour obtenir l’honneur de lui être nommés, et rien de plus commun que de lire, cinq mois après, dans les papiers anglais, les rapports les plus déplacés sous les noms mêmes de ceux qui nous avaient montré les expressions les plus vives, les formes les plus obséquieuses, la reconnaissance la plus exaltée. Une fois pour toutes, Monseigneur, ne croyez aucun de ces papiers ni aucune de leurs plates absurdités. Quand ces anecdotes nous reviennent ici, elles sont la risée, l’indignation des Anglais qui nous entourent.

« Ils se plaignent que leurs lettres sont défigurées ; ils nous démontrent qu’aucun d’eux n’aurait pu écrire ces choses, qu’elles ont dû être fabriquées à Londres ou recueillies de la bouche des domestiques des voyageurs qui passent. Monseigneur, l’Empereur, votre auguste frère, est toujours lui ; et nous, qui avons le bonheur de l’entourer, nous apprenons par expérience ce dont on doutait proverbialement : qu’un grand homme peut le demeurer, et croître encore aux yeux de ceux qui le voient à nu et ne le quittent ni nuit ni jour.

« L’Empereur dort fort peu : il se couche de bonne heure ; et comme il sait que je dors très difficilement, il me fait appeler souvent pour lui tenir compagnie jusqu’à ce qu’il s’endorme. Il se réveille assez régulièrement sur les trois heures ; on lui donne de la lumière, et il travaille jusqu’à six ou sept, qu’il se recouche pour essayer de dormir encore. À neuf heures on lui sert son déjeuner sur une petite table ronde ou espèce de guéridon près de son canapé. Il y fait appeler parfois l’un de nous ; puis il lit, travaille ou sommeille durant la grande chaleur du jour ; il nous dicte ensuite. Pendant longtemps il a eu l’habitude, vers les quatre heures, de faire une course en calèche, entouré de nous tous ; mais il vient de s’en dégoûter comme du cheval. Au lieu de cela, il se promène, jusqu’à ce que l’humidité le force de rentrer. S’il lui arrive de s’oublier au-delà de cinq heures, il est sûr d’être enrhumé du cerveau le