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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/523

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grand homme, l’avoir séquestré violemment de ses moyens et de ses ressources, avoir soigneusement stipulé, avec les autres intéressés, qu’on prenait sur soi toutes les charges, afin de demeurer seul maître de sa personne, et puis venir marchander avec lui sa propre existence, l’appeler en paiement de ses propres besoins : il y a dans tout cet ensemble quelque chose de si choquant qu’on manque d’expression pour le qualifier.

« Tout est ici, du reste, d’un prix fou, bien que si mauvais. Je ne crois pas trop dire que de le porter à six ou sept fois ce que vous le payez en Italie ; d’où il devient facile d’évaluer les huit mille livres sterling que les ministres anglais y consacrent : aussi je n’hésite pas à affirmer que nos propriétaires de province, de 15 à 18.000 francs de rente, sont mieux logés, mieux meublés, mieux nourris que ne l’est l’Empereur.

« Avec la connaissance de nos maux, vous soupçonnerez peut-être, Monseigneur, qu’aigris par la douleur et les circonstances, nous sommes portés à nous plaindre toujours et de tout. Certes, nous serions excusables, peut-être. Toutefois l’excès de nos maux ne nous a pas rendus assez injustes pour ne pas apercevoir et prendre de la reconnaissance pour l’intérêt et les attentions que nous ont témoignés quelques habitants et un bon nombre des officiers de la garnison. Nous avons distingué surtout la franchise des manières et la droiture de l’amiral Malcolm. Notre susceptibilité dans le malheur, et la délicatesse de sa situation officielle, nous ont seuls empêchés de lui témoigner, ainsi qu’à lady Malcolm, dont nous honorons le caractère, toute la sympathie qu’ils nous inspiraient. Cet amiral ayant recueilli dans la conversation de l’un de nous que nous étions sans ombrages et que nous nous occupions de procurer à l’Empereur une tente où il put passer quelques instants, il arriva qu’à quelques jours de là l’Empereur put déjeuner sous une tente spacieuse, soudainement élevée par les matelots et avec les voiles de la frégate. C’était une galanterie européenne à laquelle nous n’étions plus faits ; nous avons dû y être sensibles. L’Empereur a joui et jouit encore de cette tente, mais non sans mélange. Combien de fois, à l’approche d’un ennemi importun, il y a interrompu sa conversation et ses dictées, en s’écriant : « Rentrons dans nos tanières ; on m’envie l’air que je respire. »

« Tout, jusqu’au plus petit détail, trahit le caractère et les dispositions personnelles de notre gardien. Il nous permet le papier-nouvelle qui nous maltraite davantage, et nous interdira celui qui s’exprime avec