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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/53

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nourri dans notre sein ; à peine il nous avait quittés, qu’il était dans le système de nos ennemis, et que nous avions à le surveiller et à le craindre. Plus tard il a été une des grandes causes activés de nos malheurs, c’est lui qui a donné à nos ennemis la clef de notre politique, la tactique de nos armées ; c’est lui qui leur a montré les chemins du sol sacré ! Vainement dirait-il pour excuse qu’en acceptant le trône de la Suède il n’a plus dû qu’être Suédois ; excuse banale, bonne tout au plus pour la multitude et le vulgaire des ambitieux. Pour prendre femme on ne renonce point à sa mère, encore moins est-on tenu à lui percer le sein et à lui déchirer les entrailles. On dit qu’il s’en est repenti plus tard, c’est-à-dire quand il n’était plus temps et que le mal était accompli. Le fait est qu’en se retrouvant au milieu de nous, il s’est aperçu que l’opinion en faisait justice ; il s’est senti frappé de mort. Alors ses yeux se sont dessillés ; car on ne sait pas, dans son aveuglement, à quels rêves n’auront pas pu le porter sa présomption et sa vanité, etc., etc. » Et comme à la suite de cela et de beaucoup d’autres choses encore, j’ai osé me permettre de lui faire observer comme un jeu du hasard bien bizarre, bien extraordinaire, que le soldat Bernadotte, appelé à une couronne où le protestantisme était de rigueur, se trouvait précisément né protestant, et que son fils, destiné par là à régner sur des Scandinaves, se présentait au milieu d’eux précisément avec le nom national d’Oscar, « Mon cher, a repris l’Empereur, c’est que ce hasard tant cité, ce hasard dont les anciens faisaient un dieu, qui nous étonne chaque jour, nous frappe à chaque instant, ne nous apparaît après tout si singulier, si bizarre, si extraordinaire, que parce que nous ignorons les causes secrètes et toutes naturelles qui l’ont amené ; et pourtant il suffit de cette seule combinaison occulte pour créer du merveilleux et enfanter des mystères ; ici, par exemple, quant au premier article de s’être trouvé né protestant, n’en faites pas honneur au hasard : rayez celui-là. Quant au second, le nom d’Oscar, c’est moi qui fus le parrain ; et quand je le nommai, je radotais d’Ossian : il se présenta donc tout naturellement. Vous voyez à présent combien est simple ce qui vous étonnait, si fort, etc., etc.[1] »

  1. Il a été publié à Paris une histoire de Charles-Jean XIV, roi de Suède (Bernadotte). L’auteur, grand panégyriste et apologiste de son héros, le met un moment en scène avec un confident, et leur dialogue sert à passer en revue plusieurs points historiques : Votre Majesté « connaît sans doute le Mémorial de Sainte Hélène, dit dans un de ces endroits l’interlocuteur ; quelle est son opinion sur la manière dont il s’exprime à son égard ? – Espèce de rapsodie, répond le prince ; aucune foi ne saurait être accordée aux récits de l’auteur ; ce sont autant de rêves de son imagination, car il est impossible que Napoléon se soit exprimé de la sorte sur ma personne. » Or voici des notes écrites