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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/540

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appelée le château, lieu vaste et assez agréablement situé. Un grand changement s’était opéré subitement à notre égard : nous étions encore gardés par des sentinelles, il est vrai ; mais tout avait été mis à mes ordres, et l’on semblait s’efforcer de nous entourer de profusions en tout genre. « Ne vous faites faute de rien, me répétait souvent le majordome, c’est l’honorable compagnie des Indes qui paie. » Mais ces soins tardifs me touchaient peu : il n’était plus qu’une chose à mes yeux, c’était un prompt dénouement, et je ne pouvais l’obtenir. Le gouverneur venait bien chaque jour ; mais c’était pour laisser échapper quelques mots de politesse seulement, et pas un seul d’affaires. Cependant il devenait indispensable pour moi d’en finir. Depuis mon enlèvement de Longwood, les difficultés ou les embûches sans cesse renaissantes dont je me trouvais environné, ma préoccupation de leur échapper, m’avaient tenu dans un constant harassement ; à ces peines d’esprit se joignait encore tout le chagrin du cœur. Une telle complication produisit en moi une espèce de révolution, je me sentis subitement dix ans de plus, et c’est là qu’ont pris naissance et se sont déclarés les premiers symptômes des infirmités qui ne m’ont plus quitté depuis, qui se sont accrues chaque jour, et ne doivent finir qu’avec ma vie.

Ce fut donc dans un véritable état de crise que j’arrivai à la ville. Le gouverneur demeura frappé de mon changement et de mon extrême faiblesse ; à peine pouvais-je suivre la conversation. Dans l’intention sans doute de me ranimer, il m’a laissé savoir que l’Empereur avait témoigné un bien vif désir de me revoir avant mon départ. Ce ressouvenir m’a vivement ému, mes larmes ont coulé ; et j’étais si peu en état de soutenir aucune émotion que j’ai été sur le point de m’évanouir. Mon fils me dit plus tard que le gouverneur en avait semblé fort embarrassé. Ramassant néanmoins mes forces, j’en suis revenu à supplier encore le gouverneur de m’éloigner le plus promptement possible ; alors il a fixé mon départ à deux jours de là, et m’a appris qu’il s’était procuré un bâtiment de guerre, comme plus convenable pour moi, et en même temps plus commode, à cause du médecin qui s’y trouvait.


Paroles de l’Empereur – Adieux du grand maréchal.


Dimanche 29.

Aujourd’hui, de grand matin, un officier est enfin venu nous dire de mettre en ordre tous nos effets pour être transportés à bord ; qu’il était décidé que nous partirions à peu de temps de là. C’était pour nous l’heure de la délivrance. En moins de quelques minutes tout ce