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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/542

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l’Empereur, et c’en serait une pour lui-même, sir Hudson Lowe, qui ne tarderait pas à s’en apercevoir. » Le gouverneur répondait par une inclination approbative, et tous deux cherchaient à m’ébranler : je le comprenais de la part du gouverneur ; mais je n’en pouvais deviner la véritable cause dans le grand maréchal, surtout d’après les paroles qu’il venait de me transmettre au nom de l’Empereur ; d’autant plus qu’auprès des nombreux et puissants motifs qui m’entraînaient, sir Hudson Lowe, ainsi que je crois l’avoir déjà dit, n’offrait pas de son côté la moindre concession ; il conservait mes papiers, il exigeait ma soumission pure et simple ; et par là je légalisais, pour ainsi dire, tout ce qu’il avait fait ; je l’autorisais, par le précédent, à renouveler à son gré la saisie et l’emprisonnement du premier venu d’entre nous, toutes les fois qu’il lui en prendrait fantaisie. Je ne devais, je ne pouvais me prêter sans ordre à de pareils outrages : je résistai donc héroïquement.

Cependant la nuit était venue tout à fait, et le gouverneur trouvant qu’il était trop tard, nos derniers arrangements d’ailleurs n’étant pas terminés, il renvoya le départ au lendemain ; et comme il m’en voyait chagrin, pour me consoler il dit qu’il permettait que le grand maréchal vînt me revoir encore. Quelque bonheur que j’eusse sans doute à embrasser de nouveau un compagnon de Longwood et à recevoir encore une fois des nouvelles de l’Empereur, néanmoins ce retard n’était pas sans une vive peine pour moi il prolongeait ma tempête intérieure et remuait mes plaies. On sait qu’il est des victoires que l’on ne remporte que par la fuite ; celle que je poursuivais était de cette nature.


Derniers adieux – Scellé des papiers – Départ.


Lundi 30.

D’assez bonne heure j’ai reçu la visite de l’amiral Malcolm : il venait me présenter, disait-il, le lieutenant Wright, chargé de me conduire au Cap sur le brick le Griffon, me le recommandant comme son ami, ajoutait-il avec grâce, et m’assurant que je n’aurais qu’à me louer de tous ses efforts pour m’être agréable. J’appréciai dignement dans l’amiral cette marque d’un intérêt si délicat, et j’en ressentis une sincère et tendre reconnaissance beaucoup mieux que je ne la lui exprimai. Sa bienveillance pour moi devait avoir un prix d’autant plus grand à mes yeux, que ses rapports avec le gouverneur rendaient fort délicat de la