Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoigner ; aussi avait-il eu la circonspection de se faire accompagner précisément par l’homme de confiance de sir Hudson Lowe.

J’attendais avec mon anxiété habituelle le moment décisif, craignant toujours de voir le gouverneur finir par opposer des obstacles imprévus, tant il me laissait apercevoir le désir de me faire rester.

Le grand maréchal arriva vers les onze heures, conduit par le gouverneur et quelques officiers. Il renouvela ses efforts de la veille pour me faire revenir à Longwood, mais sans jamais m’exprimer néanmoins le désir positif de l’Empereur. Connaissant si bien ma situation, il n’avait qu’à dire un mot pour être sûr de l’emporter ; mais il ne le disait pas, et même s’en éloignait si je le pressais, se référant alors aux paroles sacramentelles de l’Empereur, qu’il m’avait rendues la veille. Ainsi j’avais à me défendre encore contre celui-là même dont j’aurais voulu recevoir du renfort ; son affection me devenait funeste, et je demeurais au supplice, déchiré entre le désir de rester et la volonté de partir : si le cœur dictait l’un, le courage commandait l’autre ; je demeurai inébranlable.

Je ne dois pas oublier de mentionner que le grand maréchal, dans le cours de la conversation, me dit que l’Empereur avait désiré me voir avant mon départ ; mais que le gouverneur exigeant qu’il se trouvât un officier anglais entre nous, il s’était vu contraint d’y renoncer, me faisant dire que je savais bien qu’à cette condition il se priverait de voir sa femme même et son propre fils. Quelles paroles pour moi !…

Passant aux affaires, je remis au grand maréchal treize lettres de change sur mon banquier de Londres ; c’étaient mes quatre mille louis que j’avais si souvent offerts à l’Empereur, et que le grand maréchal m’avait appris la veille qu’il s’était enfin décidé à accepter, ce qui combla mes vœux et fut pour moi un vrai bonheur.

Ces objets terminés, on permit au général Gourgaud, qui avait obtenu d’accompagner le grand maréchal, de venir aussi prendre congé de moi ; et cette nouvelle preuve d’intérêt, jointe à toutes celles qu’il n’avait cessé de me donner depuis mon emprisonnement, ne fut pas perdue pour mes sentiments.

La séance durait depuis longtemps, et sir Hudson Lowe eut la galanterie de dire à ces messieurs qu’ils pouvaient demeurer à déjeuner avec moi, et il s’en alla, emmenant avec lui tout son monde, à l’exception du seul officier de service à Longwood qui avait escorté ces messieurs, l’honnête capitaine Popleton, dont nous n’avons jamais eu qu’à nous