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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/55

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l’indignation de la vertu, qui jusque-là n’a pu soupçonner une telle bassesse. »

Dans le même temps, les ministres anglais, traitant avec nous de l’échange des prisonniers, refusaient d’y comprendre sur la même échelle les prisonniers russes faits en Hollande au propre service et pour la seule cause des Anglais. « J’avais deviné, disait l’Empereur, la trempe du caractère de Paul. Je saisis l’occasion aux cheveux ; je fis réunir ces Russes ; je les habillai et les lui renvoyai pour rien. Dès lors ce cœur généreux fut tout à moi, et comme je n’avais intérêt opposé à la Russie, que je n’aurais jamais parlé que justice et procédés, nul doute que je n’eusse disposé désormais du cabinet de Saint-Pétersbourg. Nos ennemis sentirent le danger ; et l’on a voulu que cette bienveillance de Paul lui ait été funeste : cela pourrait bien être ; car il est des cabinets pour qui rien n’est sacré. »

Napoléon, après mon enlèvement, a dicté les détails de la fin tragique de l’infortuné Paul. L’importance et le crédit d’une telle source nous portent à les transcrire ici : « Paul fut assassiné dans la nuit du 23 au 24 mars 1801. Lord Withworth était ambassadeur à sa cour ; il était fort lié avec le comte de P…, le général B…, les O…, les S…, et autres personnes authentiquement reconnues pour être les auteurs et acteurs de cet horrible parricide. Ce monarque avait indisposé contre

    perdre la bataille ; c’est en considération de la princesse de Ponte-Corvo qu’au moment de remettre le décret au prince de Neufchâtel, l’Empereur le déchira. Quelques jours après Bernadotte se distingua au combat de Halle, ce qui effaça un peu ces fâcheuses impressions. » – « Les Saxons lâchèrent pied la veille de Wagram et le matin de Wagram ; cependant le prince de Ponte-Corvo, contre l’usage et l’ordre, fit une proclamation le lendemain de cette bataille et les appela colonne de granit… L’Empereur le renvoya à Paris et lui ôta le commandement de ce corps. » – « Arrivé à Paris, le ministre de la guerre, ignorant le vrai motif de son retour, l’envoya contre l’invasion anglaise à Anvers, où il parla beaucoup, écrivit beaucoup, et ne fit rien. Lorsqu’il y arriva, l’expédition anglaise était manquée ; Anvers était sauvé. » – « Le roi de Suède demanda à Napoléon un prince français. On désirait le vice-roi ; mais le changement de religion fut un obstacle sine qua non. » – Si l’élection de Bernadotte au trône de Suède n’avait pas été agréable à l’Empereur, elle n’aurait pas eu lieu ; car c’est pour avoir sa protection et plaire à la France que les Suédois la firent. L’Empereur fut séduit par la gloire de voir un maréchal de France devenir roi ; une femme à laquelle il s’intéressait, reine, et son filleul prince royal. Il prêta même à Bernadotte, lors de son départ de Paris, plusieurs millions de francs sur sa cassette, pour paraître en Suède avec la pompe convenable. » – « Bernadotte n’était point protestant : il est né dans la religion catholique, apostolique, romaine il a abjuré sa religion pour la religion réformée. » – « Beaucoup de gens en eussent fait autant ; mais c’est cette circonstance qui a empêché d’envoyer régner en Suède le prince Eugène. Sa femme, princesse de Bavière, n’aurait pas pu s’en consoler. Désirée, reine actuelle de Suède, n’a pas voulu changer. »
    L’empereur, au sujet de deux lettres qui lui auraient été écrites par Bernadotte, dit : « Le style de ces lettres dit assez que ce sont des libelles ; elles n’ont jamais été reçues. Ce n’était pas un mois avant Lutzen qu’on écrivait ainsi à l’empereur des Français ; il est fâcheux que des personnes aussi élevées en dignité prêtent leurs signatures à des pièces fausses. »
    Il est certain que, de mon côté, j’ai vu aux archives de la guerre plusieurs lettres autographes de Bernadotte, qui ne sont plus strictement les mêmes que celles fournies à son historien. À présent je laisse aux lecteurs à prononcer sur l’assertion de Charles-Jean au sujet du Mémorial de Sainte-Hélène.