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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/564

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échappé. » Je répondis que lord Wellington avait résolu de n’abandonner que mort le champ de bataille. Napoléon répondit : « Il ne pouvait se retirer. Il aurait été détruit avec son armée si Grouchy fût venu au lieu des Prussiens. » Je lui demandai alors s’il n’avait pas cru, pendant quelque temps, que les Prussiens qui s’étaient montrés étaient des Français faisant partie du corps de Grouchy. Il me répondit : « Oui, je comprends difficilement encore comment c’était une division prussienne, au lieu de celle de Grouchy. » Je pris la liberté de lui demander si, dans le cas où Grouchy ni les Prussiens ne fussent venus, la bataille n’eût pas été indécise. Voici sa réponse : « L’armée anglaise eût été détruite ; elle était défaite dès le milieu du jour ; mais la destinée avait décidé que Wellington gagnerait cette bataille. Je ne croyais pas qu’il nous attaquerait, parce qu’il s’était retiré à Antwerp ; il devait le faire. J’eusse été accablé si une armée de trois ou quatre cent mille hommes eût marché contre moi. Quand j’offris la bataille, j’agis comme les circonstances le commandaient. J’ai regardé de la part des alliés comme une grande folie l’action de séparer les armées anglaise et prussienne ; il fallait les réunir, au contraire. Je ne puis comprendre encore la raison de leur disjonction. Quoi ! Wellington me livrait bataille, de son plein gré, dans un endroit où il était perdu, totalement défait, là où aucune retraite n’était possible, puisqu’un bois se trouvait derrière lui ! je devais le tailler en pièces. Le bon sens voulait qu’il commençât la campagne. Vous vous figurez l’agitation de votre pays apprenant tout à coup que quarante mille soldats ont mordu la poussière dans les champs de la Belgique pour la cause des rois. Le ministère fût tombé sous le cri de l’opinion. Vos concitoyens auraient dit : — Eh ! que nous importe celui qui règne en France, que ce soit Louis ou Napoléon ? La paix alors eût été faite, et les Saxons, les Bavarois, les Belges, les Wurtembergeois se fussent de nouveau joints à moi. Les Russes aussi auraient fait la paix. Je serais resté maître de la France. Tels étaient mes motifs pour attaquer les Anglais. J’avais battu les Prussiens. Avant midi, j’étais vainqueur. Je pus dire que tout m’appartenait ; mais le hasard, la destinée en ont décidé autrement. Sans doute les Anglais se sont battus vaillamment, personne, ne peut le nier, mais ils auraient été défaits.

« Pitt et sa politique ruinèrent presque l’Angleterre, en nourrissant la guerre sur le continent. »

Je lui fis observer que des politiques éminents avaient soutenu