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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/565

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que, sans cette guerre de vingt-cinq années, la France, grandissant en prépondérance, eût ruiné l’Angleterre. Cette dernière avait donc eu à prendre un accroissement considérable. Voici sa réponse : « Au contraire, l’Angleterre, continuant la guerre à la France, nous a donné des circonstances pour étendre, sous mon gouvernement, nos conquêtes si loin, que je devins empereur du monde entier ; ce qui ne serait pas arrivé s’il n’y eût pas eu de guerre. »

Je lui parlai de l’occupation de Malte. Il me répondit : « Deux jours avant que lord Whilworth quittât Paris, mes ministres et quelques amis particuliers reçurent l’offre de trente millions de francs ; on m’eût reconnu comme roi de France ; pour cela, il fallait céder Malte. »

Nous causâmes un autre jour des marins anglais. « Ils sont aussi supérieurs aux marins français que ceux-ci le sont aux Espagnols. « Les Français, lui dis-je, ne feront jamais d’excellents matelots, parce qu’il sont impétueux et légers ; ils ne se soumettront jamais, sans se plaindre, à bloquer des ports durant des années ; cela était arrivé à Toulon pendant des temps affreux, de privations sans nom. » Il me répondit : « En effet, signor dottore, nos matelots ne sont point aussi expérimentés que vos Anglais. La mer est votre domaine, vos matelots surpassent les nôtres. Jadis les Hollandais les surpassaient. Les marins américains valent mieux que les Anglais ; la raison, c’est qu’ils sont en moins grand nombre. Les Américains, répondis-je, ont beaucoup de matelots anglais à leur service ; la discipline américaine, à bord des vaisseaux de guerre, est beaucoup plus sévère que la nôtre ; voilà, je crois, les causes de leurs succès. Si les Américains avaient une marine considérable, il leur serait impossible de placer sur chaque vaisseau autant de marins expérimentés. « Quand je lui dis que la discipline américaine était plus sévère que la nôtre, il sourit et dit : « Sarebbe difficile a credere. »

Dans l’après-midi, à cinq heures, Napoléon m’a fait appeler. Je l’ai trouvé assis près du feu dans un fauteuil. — Il était sorti pour se promener, mais il avait été saisi de douleurs de dents et d’une toux violente. Sa joue était enflammée ; les douleurs augmentèrent. « Je tremble, dit-il au comte de Las Cases qui était là, comme si j’avais peur. » Il avait le pouls agité. Il me fit d’intéressantes questions sur la fièvre.

Je L’ai revu à neuf heures ; il était au lit. Il désigne comme cause de son indisposition le ventaccio[1] qui souffle toujours sur le sol aride de

  1. Fentaccio, mot provençal, vent violent, pénétrant.