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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/616

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« Masséna, c’est là l’homme d’un talent supérieur ! Il faisait le plus souvent de mauvaises dispositions avant une bataille ; et ce n’était que lorsque les hommes tombaient de tous côtés qu’il commençait à agir avec un jugement élevé ; alors seulement son esprit était ému et concevait un grand plan. Au milieu des morts et des mourants, de la grêle de balles qui moissonnait les hommes autour de lui, Masséna était toujours maître de lui-même. Il donnait ses ordres, et faisait ses dispositions avec un admirable sang-froid et le plus grand jugement. Voilà la vera nobilita di sangue. On disait avec vérité de Masséna, qu’il ne commençait jamais à agir avec discernement que lorsque la chance d’une bataille se déclarait contre lui.

« C’était un homme rare ; c’eût été un grand homme, si ses hautes qualités n’eussent été ternies par un goût effréné de rapine.

« Pichegru, poursuivit l’illustre juge, était répétiteur à Brienne et m’enseigna les mathématiques lorsque je n’avais que dix ans. Il les savait à fond. Comme général, Pichegru était un homme d’un talent peu ordinaire, bien qu’il n’ait fait précisément rien de notable, ses succès en Hollande étant, en grande partie, le résultat de la victoire de Fleurus. Pichegru, aprês s’être vendu, sacrifia la vie de près de vingt mille de ses soldats, en les jetant à dessein entre les mains de l’ennemi, qu’il avait instruit de ses mouvements. Il eut une fois une discussion fort vive avec Kléber, parce qu’au lieu de faire marcher son armée sur Mayence, comme il aurait dû le faire, il en avait dirigé la plus grande partie sur un autre point où Kléber fil observer qu’il aurait suffi seulement d’envoyer les ambulances, avec quelques hommes, pour faire parade. Cette faille fut regardée comme de l’inhabileté. C’était une trahison. »

Napoléon attribue à Hudson Lowe toutes les souffrances qu’il éprouve à Sainte-Hélène. Il disait : « Je comprends qu’on tue un homme et qu’on l’ensevelisse : c’est fini ; mais cette torture, cette façon de faire périr un captif en détail, est plus cruelle ; la mort violente ne l’est pas tant. J’ai fréquemment entendu parler du système tyrannique et oppresseur qui est suivi dans vos colonies, mais je n’ai jamais pensé qu’on pouvait violer la loi et la justice à ce point. Je ne pense pas qu’il y ait sur la terre une nation plus esclave que vos Anglais. J’ai déjà dit cela au colonel Wilks[1].

  1. Le premier Gouverneur de l’Ile.