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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/619

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différentes orgies, je les envoyai à Gravelines, où on leur donna un camp tout à fait spécial ; il leur fut défendu de le franchir.

« La police avait à sa solde, indépendamment des contrebandiers, des émigrés, des royalistes qui lui donnaient fidèlement des renseignements sur les projets du parti vendéen, de Georges et des princes ; et, lorsqu’ils voulurent m’assassiner, je pus faire épier quelques-unes de leurs démarches. Plusieurs espions anglais, dans nos intérêts à peu près, appartenaient à la haute société : il y avait là de grandes dames.

« Les contrebandiers traversaient le canal dans des bateaux très étroits, grands comme cette baignoire. Il était prodigieux de les voir passer en bravant vos vaisseaux de 74. »

Je fis observer à l’Empereur que ces gens étaient aussi espions pour les Anglais ; qu’ils instruisaient ces derniers de ce qui se faisait en France. « Je le pense bien, dit Napoléon ; ils vous portaient les journaux, mais je crois que, comme espions, ils ne pouvaient pas vous apprendre grand’chose. Votre presse libre m’apprenait beaucoup plus. Et puis annuellement ils transportaient de France en Angleterre pour plus de quarante à cinquante millions de soieries et d’eau-de-vie : ils facilitaient l’évasion des prisonniers, et ils les ramenaient en France. Les parents des Français détenus en Angleterre allaient à Dunkerque pour faire marché avec les contrebandiers. Quelques renseignements leur suffisaient pour découvrir un homme : le nom, l’âge, un signe particulier qui pût inspirer confiance au prisonnier. Ils effectuaient sa délivrance en peu de jours. Ces hommes, qui avaient à faire un si terrible métier, tenaient leurs engagements avec loyauté. Différentes fois ils nous offrirent d’enlever, pour une somme d’argent, quelques membres de la famille des Bourbons et de les transporter en France. J’ai toujours refusé avec force ces offres ; ils m’offrirent aussi de m’amener Dumouriez et Sarrazin, qui étaient mes ennemis. Je ne voulus rien leur accorder sous ce rapport : puissant, j’ai méprisé la vengeance. »

« Pensez-vous, lui dis-je, que l’expédition de Walcheren, mieux menée, eut pu réussir. » Je transcris sa réponse.

« Si vous eussiez débarqué quelques milliers d’hommes à Willamstadt et que vous les eussiez dirigés droit sur Anvers, la surprise générale, le manque de points de défense, l’incertitude des habitants sur votre nombre vous auraient facilité un heureux coup de main ; cela fut impossible quand la flotte française fut réunie. Les équipages des vaisseaux,