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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/624

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et d’exercer la tyrannie sur les mers ? Vous verrez que, dans quelques années, il se vendra fort peu de marchandises anglaises sur le continent[1]. J’ai donné une vie nouvelle aux manufactures. Les Français vous surpassent dans la fabrication des draps et de beaucoup d’articles. Ils font mieux que les Hollandais dans les toiles et la mousseline. J’ai contribué à former un grand nombre de fabricants ; j’ai affermi et développé l’institution de l’École polytechnique : les chimistes habiles sortent en grand nombre de cette école ; ils répandent aussitôt les connaissances de cette science dans les manufactures de l’empire, et appliquent la chimie aux arts. Tout marche en France, sur des principes certains et bien établis, l’ancienne méthode était vague et incertaine : à présent, le fabricant peut raisonner à fond ses opérations. Les temps sont changés ; vous ne devez plus compter sur le continent pour placer vos marchandises. L’Amérique, l’Espagne et le continent portugais sont vos seuls débouchés. Souvenez-vous de ce que je vous dis : dans une année ou deux, votre peuple se plaindra et dira : « Nous avons tout gagné, mais nous mourons de faim ; nous sommes dans une situation plus précaire qu’avant la paix. » Peut-être vos ministres se décideront-ils plus tard à ce qu’ils auraient dû faire auparavant. Vous n’êtes point en état, continua-t-il avec feu, de faire face, même à la Prusse, dans les champs de bataille ; et vous n’avez dû vos avantages sur le continent qu’à cette souveraineté maritime, que vous pourrez bien perdre si vos ministres s’entêtent à soutenir le misérable système militaire actuel. L’Angleterre a fait son va-tout. Elle a gagné beaucoup, fait de belles et difficiles choses ; cependant le résultat est zéro, un bénéfice sans fruit. Le peuple meurt de faim, et est dans un état pire que pendant la guerre ; tandis que la France, qui a tout perdu, se relève et est florissante. La France s’est engraissée, malgré les saignées nombreuses qu’on lui a faites, tandis que l’Angleterre se trouve comme un homme à qui des liqueurs stimulantes ont donné une force trompeuse et momentanée, mais qui, une fois désenivré, retombe dans son état de débilité. »

10.-— L’eau est très-rare à Longwood. Sir Hudson Lowe a ordonné que l’on conduisît à Hut’s-Gate des chevaux de l’établissement. L’eau qui sort des canaux de la maison est verte et bourbeuse, et a une odeur de corruption ; une pièce de vin est ici plus facile à trouver qu’une

  1. Je copiai sur-le-champ ce beau discours, et le communiquai à des agents supérieurs du gouvernement anglais.