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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/640

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bien vous forcer d’envoyer des escadres à la recherche de mes flottes dans les Indes orientales et occidentales, et dans la Méditerranée. Avant que ces escadres eussent été de retour, j’aurais été le maître du canal pendant deux mois, ayant à ma disposition environ soixante-dix vaisseaux de ligne, indépendamment des frégates. J’aurais passé en Angleterre avec une flottille et deux cent mille hommes ; j’aurais débarqué le plus près possible de Chatam, et de là, je me serais dirigé sur Londres, où je pouvais arriver quatre jours après. J’aurais proclamé la république ! J’étais alors premier consul. J’eusse aboli sans coup férir la noblesse anglaise, la chambre des lords ; j’eusse donné à votre grand peuple les terres des gentilshommes opposés à mes projets : la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple, ces belles institutions établies en principes, m’eussent fait de nombreux partisans. La chambre des communes fût demeurée, sauf des réformes dans le mode électoral. La Grande-Bretagne eût vu alors que nous venions, comme amis de la nation, pour l’arracher au joug d’une aristocratie insolente, perverse, pourrie, et donner à son gouvernement les formes du siècle. La discipline de mes troupes eût justifié mes vues ; j’eusse sévèrement puni les moindres excès. En raisonnant d’après le grand sens des Anglais, ces changements m’eussent valu un parti formidable. J’eusse encore insurgé l’Irlande qui serait accourue à moi. » Je combattis plusieurs de ces hypothèses, et je dis à Napoléon que son armée se serait incessamment affaiblie, qu’un million d’hommes se seraient levés contre lui : que la ville de Londres eût été brûlée. « Je ne craignais pas cela, dit-il, vous êtes trop opulents, trop amis du luxe et des agréments de la vie pour brûler le théâtre de votre civilisation. Les Parisiens n’ont-ils pas juré de s’ensevelir sous les murs de leur ville plutôt que de souffrir la domination étrangère ? Paris, malgré cela, a été pris deux fois ; on ne peut pas dire ce qu’eussent été les événements ; mais je reste persuadé qu’une meilleure division des fortunes eût produit un grand effet sur le peuple anglais.

« Quelle résistance eût pu faire une armée improvisée contre la mienne, dans un pays qui, comme l’Angleterre, abonde en plaines ? Tout ce que vous venez de m’objecter, j’y avais songé ; mais j’avais aussi calculé l’effet qu’aurait produit la prise d’une ville grande et aussi opulente, de la banque, de toutes vos richesses, de vos batiments dans la Tamise et à Chatam.

« Je pensais rester maître du canal durait deux mois. Ce temps