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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/641

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m'eût suffi pour agglomérer et disperser mes régiments, si bien qu'au retour la flotte britannique eût trouvé l'Angleterre hors de lutte, conquise, vaincue. Mes proclamations eussent eu en vue les opinions, les besoins du peuple, les matelots, les soldats, les moins favorisés de toutes les classes, etc. ; j'abolissais les coups de garcette. Ces proclamations contre une aristocratie avare et tyrannique, s'enrichissant du sang du peuple, l'établissement de la république, l'abolition de la monarchie, de la noblesse, le juste partage des biens, m'eussent gagné l'affection du peuple de Londres, de tous les mécontents ; je n'avais besoin que de ces incidents pour établir la suprématie de la France. »

A quelques objections sur l'esprit de nationalité des Anglais, Napoléon m'a répondu : « Il existe plus d'esprit national chez vous qu'en France ; cependant, je ne puis croire que vous eussiez « consenti à brûler Londres. L’incendie de la ville de Moscou, bâtie presque entièrement en bois, était d’une exécution facile. Celui de Londres n’eût point réussi sans des préparatifs impossibles et qui eussent trouvé des opposants. Je ne vous eusse pas attaqués comme à Rosette ; mais en vous portant précipitamment des coups terribles, je fusse arrivé, avec la rapidité du tonnerre, aux portes de Londres. Mon héroïque armée eût brisé toutes vos barrières !… Je sais bien que des objections pour et contre mon projet ne manquent pas ; mais une fois maître de Londres, un succès complet suivait l’invasion.

« Après le traité d’Amiens, une bonne paix avec l’Angleterre était possible. Quoi qu’en aient dit vos ministres, j’ai toujours été disposé à reconnaître sincèrement des conditions avantageuses aux deux nations.

« Pitt et vos ministres ont menti en disant que j’avais refusé la paix. Je vous l’ai offerte, établie sur la réciprocité dans les avantages. Je vous ai offert un traité de commerce. Je demandais l’échange des produits des deux nations, des valeurs respectives ; mais la fierté de vos ministres se révolta à cette proposition, et depuis ces mêmes hommes ont crié partout en Europe que je ne voulais pas la paix ! Je la voulais, mais équitable. Je ne les craignais pas ; je n’ai jamais violé les conditions de la paix d’Amiens. »

« On vous a beaucoup accusé d’avoir cherché la monarchie universelle. Aviez-vous donc un si grand but ? osai-je lui demander. — Non, mon projet était de rendre la France la plus grande des nations, je