Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/644

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Les explications, de plus en plus vives, ont continué.

Aujourd’hui nous avons parlé de l’Égypte. « Vos ministres ont fait preuve, dit l’Empereur, d’une triste incapacité en ne gardant point Alexandrie. Ce serait aujourd’hui un pied-à-terre comme celui de Malte, et il vous appartiendrait sans contestation ; cinq mille soldats vous eussent conservé cette position. Un immense commerce dans l’Égypte vous eût suffisamment défrayés ; je regarde cette possession comme plus avantageuse pour vous que Gibraltar ou Malte. Il est certain que si la France faisait la conquête de l’Égypte, l’Inde serait perdue pour vous. J’eus longtemps la pensée de vous arracher l’Inde. J’ignore pourquoi vous attachez une si grande importance à Gibraltar.

« Quand je gouvernais, j’étais fort aise que les Anglais fussent maîtres de Gibraltar, à cause de la haine que leur conservaient les Espagnols, intraitables sur ce point. » Je répondis : « Mais on a prétendu que vous vous étiez proposé de l’assiéger, de vous en rendre maître, comme aussi l’on a dit que ce n’était qu’un prétexte pour cacher l’intention que vous aviez d’occuper l’Espagne. » Napoléon sourit à ces mots, et répliqua : « C’est vrai. Tôt ou tard, continua-t-il, en revenant au sujet qu’il avait d’abord traité, la Turquie succombera ; on ne pourra la diviser sans en donner quelque portion à la France : cette portion sera l’Égypte ; la possession de l’Inde sera la conséquence de la possession de l’Égypte. Si vous fussiez restés maîtres d’Alexandrie, ce résultat eût été paralysé. »

Il est à peu près inutile d’insister auprès du gouverneur pour des adoucissements aux restrictions ; il répond maintenant que le général Bonaparte doit se regarder comme très-heureux d’avoir affaire à un homme aussi bon que lui, etc.

La viande, les légumes, le vin, envoyés à Longwood, y arrivent constamment gâtés. Cipriani a demandé au gouverneur d’aller dans la vallée, accompagné d’un soldat, pour y acheter un mouton et des légumes, la viande envoyée par le gouvernement n’étant pas mangeable. Le gouverneur a refusé. Les aliments et le vin sont apportés tous les jours en plein soleil.

14.— J’ai déjeuné aujourd’hui avec l’Empereur ; il m’a reparlé de la Russie. « Si Paul eût vécu plus longtemps, il eût forcé votre nation à signer la paix. Vous eussiez été incapables de résister longtemps aux puissances du Nord réunies à moi. J’avais écrit à Paul de construire des vaisseaux, et de s’efforcer de réunir les États de cette partie de l’Europe contre vous ; de ne point hasarder de batailles parce qu’il