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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/679

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Je crois cela aussi, dit Napoléon. Murat était le meilleur général de cavalerie de l’Europe. Il eût donné plus d’impétuosité aux charges. Il fallait enfoncer deux ou trois bataillons, et je crois que Murat serait parvenu à le faire. C’était un officier unique, il entraînait tout. Dans l’artillerie, Drouot laissait voir le même mérite, la même intrépidité, la même décision. Murat avait environ vingt quatre ans, et était capitaine lorsque je le choisis pour aide de camp ; il m’adorait malgré ce qu’il a pu faire. J’ai eu tort de le laisser dans le midi en 1815. Il n’était rien sans moi ; mais à mes côtés, c’était un admirable officier. Je disais à Murat d’aller culbuter quatre ou cinq mille hommes sur un point, il y volait : exécuter cet ordre n’était pour lui que l’affaire d’un moment ; si je l’abandonnais à lui-même, ce n’était plus le même. Il était toujours au fort du feu. Des plumes magnifiques surmontaient son bonnet, étincelant de diamants et de broderies ; son costume entier était couvert d’or. Les soldats ennemis ne voyaient et n’admiraient que lui. Je ne puis expliquer comment il a échappé mille fois à la mort. Il est vrai que les ennemis, et les Cosaques surtout, poussaient des cris de joie en l’apercevant. Chaque jour il engageait quelque combat singulier avec eux ; il ne revenait jamais sans a voir teint son sabre de leur sang. C’était un véritable paladin. Mais, considéré comme chef d’État, dans le cabinet, c’était un poltron sans jugement et sans décision. Murat et Ney étaient les deux hommes les plus braves que j’aie connus. Le caractère de Murat était plus noble, plus franc que celui du maréchal. Murat, malgré son affection pour moi, m’a fait plus de mal que qui que ce soit au monde. Quand je quittai l’île d’Elbe, je lui envoyai un courrier pour l’informer de mon départ ; il voulut aussitôt attaquer les Autrichiens. La personne envoyée en courrier le supplia inutilement de différer. Murat me croyait déjà, non-seulement maître de la France, mais encore de la Belgique et de la Hollande, et il voulait, disait-il, faire une bonne paix avec moi. Il chargea les Autrichiens comme un fou avec sa canaille napolitaine ; il ruina mes affaires. J’étais au moment de négocier avec l’Autriche, le traité allait être conclu. Quand l’empereur François apprit cette attaque impétueuse, il pensa que Murat n’agissait ainsi que d’après mes instructions. Metternich dit alors : « L’Empereur est toujours le même ; c’est un homme de fer. Le séjour qu’il a fait à l’île d’Elbe ne l’a pas changé : rien n’est capable de le guérir. Tout ou rien, c’est sa règle. » L’Autriche se joignit à la coalition.

« Murat ignorait que ma conduite était toujours réglée d’après les