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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/685

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du discours de lord Bathurst, je lui dis que plusieurs parties reposaient sur des faussetés. Le colloque reprit toute sa vivacité. « Vous êtes donc, me dit-il, l’avocat des Français ! » Il me menaça. Je le revis le lendemain 21. Ses paroles ne s’adoucirent pas : je lui offris alors ma démission.

L’Empereur me donna à lire sa réponse au discours de lord Bathurst ; elle commence ainsi : « Le bill du parlement anglais n’est ni une loi ni un jugement. » Il compare ce bill aux proscriptions, « aussi justes, aussi nécessaires, mais moins barbares, que Sylla et Marius traçaient avec la pointe encore sanglante de leur épée ; avec cette différence, que le bill du parlement anglais avait été rendu en temps de paix et avait été sanctionné par le sceptre d’une grande nation.

« Lorsque j’entrai à Berlin, m’a dit Napoléon, j’y ai trouvé la mère du prince d’Orange, sœur du roi ; elle avait été laissée malade dans les appartements élevés du palais. Elle n’avait pas d’argent, et personne ne venait la voir. Après mon arrivée, ses domestiques vinrent invoquer ma protection : ils manquaient même de bois pour se chauffer. Le roi avait oublié sa sœur. Lorsque je sus cette circonstance, j’adressai 100,000 francs à la princesse ; je pourvus à ses besoins. Nous eûmes plusieurs entrevues ; j’aimais même sa conversation.

« On m’apporta, quelques années après aux Tuileries, des lettres écrites d’Angleterre par son fils, alors aide de camp de Wellington, et qui recherchait à Londres la main de la princesse Charlotte. Je ris beaucoup en lisant ces lettres, qui arrangeaient fort mal certains grands personnages d’Angleterre de mes ennemis. Je pensai à les faire imprimer dans le Moniteur. Dans l’intervalle, l’agent instruisit la princesse qu’il avait été arrêté, ses papiers saisis, et il lui disait, en partie, ce qui avait été écrit par le jeune prince ; il était de moitié dans ses pensées. La princesse me conjura, dans une lettre qu’elle m’écrivit sans délai, de ne pas rendre ces papiers publics, m’exposant le tort que cela ferait à son fils et à sa famille, et elle rappela à mon souvenir le temps où j’étais à Berlin. Je fus touché de sa prière, et je ne laissai pas publier ces lettres qui devaient faire un grand bruit en Europe. »

Napoléon parla de la reine de Prusse ; il avait eu une haute considération pour son caractère, et si le roi l’eût menée tout de suite à Tilsitt, il aurait obtenu des conditions plus favorables. Elle était élégante, jolie, spirituelle et fort instruite. Elle déplorait vivement cette guerre : « Ah ! disait-elle, la mémoire du grand Frédéric nous a perdus ; nous nous sommes crus pareils à lui, et nous ne le sommes pas. »

Je rappelai à Napoléon que c’était principalement à l’occasion de la