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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/694

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7. — Napoléon s’est plaint de douleurs rhumatismales. « Chaque soir, m’a-t-il dit, quand je quitte ma petite salle, où il y a du feu, pour entrer dans ma chambre à coucher, j’éprouve en y mettant le pied la sensation que l’on ressent en descendant dans une cave humide ou dans un tombeau. Si ce n’était la chambre assez claire et bâtie en bois sec, que Cockburn a fait construire, dans laquelle je me promène et fais de l’exercice, il y aurait longtemps que je serais enterré. C’est, je crois, ce que demande votre oligarchie. »

La conversation est ensuite tombée sur la nouvelle noblesse. « Je n’ai plus besoin de défendre ma création ; cette noblesse est celle du peuple ; j’ai pris indifféremment le fils d’un fermier, d’un artisan, et j’en ai fait un duc, un prince, selon ses talents. Ma pensée fut un système d’égalité générale. Je voulais que chacun fût admissible dans les grands emplois, quelle que fût l’obscurité de sa famille. Mon gouvernement se fût soutenu et élevé encore par les gens de mérite. »

Courses de chevaux à Deadwood. — Les commissaires étrangers y ont tous assisté, mais les Français de Longwood n’y étaient point, excepté les enfants et quelques domestiques. J’avais emprunté deux chevaux au général Gourgaud, pour Miss Éliza Balcombe et moi ; instruit de cette circonstance, le gouverneur se livra contre moi à une sortie violente. J’avais commis un grave délit à ses yeux ; j’avais osé prêter un cheval à une jeune dame anglaise ! il fallait d’abord en solliciter la permission de sir Lowe.

Napoléon m’a parlé de plusieurs femmes qu’il a connues. « Je crois, m’a-t-il dit, que la plus belle personne que j’ai vue en ma vie était mademoiselle G**s, née en Irlande, ou appartenant à une famille de ce pays. C’était du temps de Joséphine. Un jour que j’étais à la chasse dans la forêt de Saint-Germain, les personnes qui m’accompagnaient la laissèrent venir à moi, son placet à la main. Elle se jeta à mes pieds ; sa figure, que je pus remarquer à travers le voile, était ravissante. Je fus ébloui et pressentis quelque intrigue ; mais je n’en marquai aucun mécontentement. J’ai revu plusieurs fois cette jeune dame : mais ayant remarqué rapidement que sa présence aurait pour effet de lier quelque intrigue dans mon intérieur, je ne la reçus pas plus longtemps.

« La veille du jour où je quittai Paris pour me rendre à Waterloo, dans la soirée, une belle Anglaise vint aux Tuileries et demanda à me voir. Elle parla à Marchand, qui lui dit que cela était impossible, que je quittais Paris le lendemain. Cette réponse parut l’affliger ; elle eut beaucoup de peine à se retirer.