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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/720

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missaires de l’amirauté, quant à votre destination, lorsque vous partirez de cette île.

« Vous voudrez bien, en conséquence, immédiatement après la réception de cette lettre, quitter Longwood, sans avoir aucune communication avec les personnes qui y restent.

« J’ai l’honneur, etc.

« Édouard Wynyard,
« Lieutenant colonel, secrétaire. »

L’honneur anglais, l’humanité, les devoirs de ma profession, l’état déplorable de l’Empereur, tout m’imposait l’obligation de résister à cet ordre, barbare, et ce fut en effet le parti auquel je m’arrêtai, sans calculer les suites de mon refus.

J’avais à prescrire un régime à Napoléon, je devais lui préparer des médicaments, certain que j’étais qu’en mon absence il ne recevrait auprès de lui aucun médecin recommandé par sir Hudson. Je me rendis aussitôt près de lui, et quand je lui eus mis sous les yeux l’ordre qui m’avait été donné : « J’ai vécu trop longtemps pour lui, me dit-il. Votre ministère est bien hardi ! Quand le pape était en France, je me serais coupé le bras plutot que de signer un ordre pour éloigner de lui son médecin. »

Après quelques instants d’entretien, quand j’eus donné à l’Empereur tous les avis que je croyais nécessaires à sa santé, pour le moment présent, il me dit : « Quand vous arriverez en Europe, vous irez vous-même trouver mon frère Joseph, et vous lui ferez savoir que je désire qu’il vous remette le paquet contenant les lettres privées et confidentielles[1] des empereurs et des autres souverains de l’Europe qui m’ont écrit, et que je lui ai confiées à Rochefort. Vous les publierez… Je vous prie de prendre ce soin : et si vous entendez des calomnies sur ce qui a eu lieu pendant le temps que vous avez été avec moi, répondez : « J’ai vu de mes propres yeux, et cela n’est pas vrai. »

  1. A mon retour en Europe, j’ai fait beaucoup de démarches pour obtenir les lettres dont il est question. Malheureusement, mes efforts ne furent couronnés d’aucun succés. Avant que le comte de Survilliers eût quitté Rochefort pour se rendre en Amérique, craignant d’être arrêté par les puissances alliées, Il crut prudent de confier ce précieux dépôt à une personne sur l’intégrité de laquelle il croyait pouvoir compter ; mais il fut trahi, à ce qu’il parait, puisqu’il y a quelques mois, une autre personne apporta ces lettres à Londres pour les vendre, et en demanda 30.000 livres.
        Quelques ministres de sa Majesté et les ambassadeurs étrangers en furent informés. J’ai appris depuis que celui de Russie avait payé 10.000 livres sterling celles appartenant à son maitre. Entre autres passages curieux qui me furent rapportés par ceux à qui l’on a communiqué leur contenu, en voici un qui mérite d’être rapporté ; il est relatif au Hanovre : il porte en substance, que le roi de Prusse déclarait qu’il avait toujours un intérêt paternel pour ce pays ; et il paraissait que les souverains en général avaient fait à Napoléon des demandes pour obtenir des agrandissements de territoire.