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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/731

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nous parla d’Ajaccio, nous dit qu’il y avait séjourné, qu’il aimait les Corses, qu’ils étaient généreux, braves, qu’il était sûr que nous vivrions en bonne intelligence. Par amour pour la concorde il eût pendu le corsaire si nous eussions dit un mot : mais nous ne craignions plus que ce forban nous proposât des petits pâtés. Il allait avoir affaire à Son Excellence, c’était bien assez.

Le docteur Verling arrivait de Longwood. Sir Hudson me le présenta. Je crus qu’il avait remplacé Stokoe, je lui demandai des nouvelles de la santé de Napoléon. Napoléon ! Il cherchait dans les yeux du gouverneur ce qu’il devait répondre : mais celui-ci le tira d’affaire et me dit que le docteur ne voyait pas le général Bonaparte, qu’il ne donnait ses soins qu’au général Montholon. On servit, sir Hudson nous retint. Reade, Gorrequer disputaient avec lui de prévenances et d’égards : c’était toujours la Corse ; les hommes y naissaient avec plus de courage, plus de sagacité qu’ailleurs. Ils jugeaient mieux des circonstances et des choses, ils se pliaient plus franchement à la nécessité. D’ailleurs y avait-il dans Sainte-Hélène de quoi s’y tant déplaire ? le climat était bon, l’air salubre, la température supportable : elle ne variait que de huit à dix degrés de James-Town à Longwood, et les excursions du thermomètre n’allaient pas au delà de soixante-cinq à quatre-vingt-dix degrés.

Sir Hudson nous disait tout cela d’un air si simple, qu’il fallait être sous ses verrous pour l’écouter. Je feignis de ne pas l’entendre. Il se rejeta sur le général Bonaparte, blâma sa fierté, sa rudesse.

Le dîner fini, Gorrequer nous prévint, s’excusa, mais il était l’ennemi des correspondances ; il leur faisait une guerre impitoyable. Nous lui ouvrîmes aussitot nos poches, nos portefeuilles ; le Cerbère s’adoucit, nous passâmes. Gorrequer avait fini, c’était le tour de Reade. Celui-ci fut moins facile : il visita, déplia nos effets, les examina pièce à pièce. La guerre aux chiffons finie, nous montâmes en voiture, nous nous engageâmes dans une route effrayante : ce n’était que factionnaires, que précipices ; nous marchions au milieu des précautions de la guerre et des convulsions de la nature : jamais spectacle aussi sombre ne s’était offert à nos yeux. Nous arrivâmes enfin à Longwood. Nous nous présentâmes chez le général Bertrand, qui se trouvait auprès de l’Empereur. Ce prince venait de recevoir les journaux de Londres, il parcourait les colonnes du Morning-Chronicle qui me concernaient. Il y trouvait force éloges pour l’anatomiste, mais pas un mot pour le médecin. Il en conclut que j’étais étranger à l’art, une façon de Cuvier, auquel il donnerait à disséquer son cheval, mais auquel il ne confie-