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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/736

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protégeait les sciences, elle gouvernail dans l’intérêt public. — Elle était adorée à Lucques ; elle y avait créé des établissements utiles et bons. Je la crois fort riche. Les Toscans ont été contents de revoir leur ancien grand-duc ; ne le croyez-vous pas ? — Il est cher au peuple, qu’il gouverne avec douceur. — A l’exception des spéculateurs de Livourne, à qui tout est bon, les Toscans sont un peuple excellent ; ils sont à la fois éclairés, industrieux, cultivateurs habiles : ils occupent la plus belle contrée de l’Italie. Quelles considérations vous ont engagé à vous associer à mon exil ? — Votre Majesté peut le pressentir ; je ne cherche ni l’or ni les faveurs ; je n’ai pas mis mes services à prix, je ne me suis pas inquiété des conditions. On m’a proposé d’approcher de vous, cette gloire m’a suffi ; je n’ambitionne pas d’autre bien. — Mais pourquoi, avant de céder à l’invitation de votre ami Colonna, ne pas vous être fait assurer une existence par ma famille ? — Des avantages pécuniaires ne peuvent compenser le sacrifice ; la gloire seule pouvait me décider. — La gloire est fort bonne ; mais si vous aviez été renvoyé comme peu s’en est fallu, qu’auriez-vous fait ? dans quel embarras ne vous seriez-vous pas trouvé ? — Une semblable réception m’eût déchiré ; mon seul regret eût été d’être méconnu. — Vous êtes Corse, voilà la considération qui vous a sauvé. Le grand-duc doit avoir été charmé de voir un de ses employés m’apporter les secours de la médecine sur cet écueil ? — Je le pense, Sire ; vous avez eu tant de bontés pour lui. — Je l’ai beaucoup connu. Marie-Louise l’aimait, et lui n’était pas indifférent aux charmes de la reine de Naples. Je l’ai toujours tenu pour un bon prince. Êtes-vous resté longtemps à Rome ? — Environ deux mois. — Vous avez eu le loisir de la bien connaître. Je suis vraiment fâché de ne l’avoir pas vue. Je voulais lui rendre son antique splendeur, en faire la capitale de l’Italie ; la destinée ne l’a pas voulu… Une partie de ma famille y réside. Le pape est un bon vieillard que j’ai toujours bien traité… Allons ! maintenant, parlez-moi avec franchise, donnez-moi des nouvelles des miens. Commencez par Madame Mère, la signora Letizia. — Le malheur n’a pu l’abattre. Elle supporte l’adversité avec courage ; elle est pleine de résignation et de dignité. — Reçoit-elle, va-t-elle dans le monde ? Quel est son genre de vie ? — Tout à fait retiré. Elle n’a qu’une société peu nombreuse, n’admet que quelques personnes de confiance. Ceux de ses enfants qui sont à Rome sont empressés autour d’elle : mais ses vœux, ses pensées sont tous pour Sainte-Hélène. Elle n’attend qu’un mot pour braver la mer et vous serrer dans