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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/743

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ouvrages qui existaient déjà à Sainte-Hélène. Napoléon en fut vivement affecté. « Que n’avez-vous, me dit-il à diverses reprises, consacré à cet objet quelques vingtaines de mille francs, ma mère les eût payés ? Vous m’auriez apporté des livres, vous auriez fait ma consolation. Si du moins j’avais Polybe ! Mais peut-être m’arrivera-t-il par quelque autre voie. » Il lui arriva en effet par les soins de lady Holland, quelques mois avant sa mort. On tira des paquets de journaux. « Voilà de quoi me mettre au courant des affaires ; il est plaisant de voir les sages mesures qui devaient faire oublier ma tyrannie. Pauvre Europe ! quelles convulsions on lui prépare ! — Sire, votre correspondance ! — Inédite… Celle-là du moins n’est pas une conception de libelliste. On ne l’a pas falsifiée, dénaturée, portée à Vienne. Égypte !… Nous étions jeunes alors, nous jouions avec la mort, nous ne songions qu’à vaincre, le temps des défections n’était pas venu..

« Kléber… Il avait le cœur français ; il n’eût jamais pactisé avec l’émigration ni répudié nos aigles. Je suis aise d’avoir cette collection, elle rafraîchira mes souvenirs ; je l’étendrai, j’y mettrai des notes. »

26. — L’Empereur se trouve à peu près dans le même état. Il a passé la nuit à lire ; il est extrêmement fatigué. Je l’engage à se reposer, à prendre un bain dans le courant de la journée. « J’y consens, docteur, me dit-il, en fixant le portrait du roi de Rome qu’il tenait toujours dans ses mains ; mais placez-moi cet admirable enfant à côté de sa mère, là, à droite, plus près de ma cheminée. Vous la reconnaissez à sa fraîcheur : c’est Marie-Louise ; elle tient son fils dans ses bras. Et cet autre, vous le reconnaissez aussi ? c’est le prince impérial. Vous ne devinez pas quelle belle main l’a dessiné ? C’est sa mère, dont l’aiguille gracieuse a reproduit ses traits. Celui qui est devant vous représente encore Marie-Louise ; les deux autres sont ceux de Joséphine : je l’ai tendrement aimée. Vous examinez cette grande horloge ; elle servait de réveille-matin au grand Frédéric. Je l’ai prise à Postdam : c’est tout ce que valait la Prusse. Ma cheminée n’est pas bien somptueuse, comme vous voyez. Le buste de mon fils, deux chandeliers, deux tasses de vermeil, deux flacons d’eau de Cologne, des ciseaux à faire les ongles, une petite glace. Ce n’est plus la splendeur des Tuileries ; mais n’importe si je suis déchu de ma puissance, je ne le suis pas de ma gloire : je conserve mes souvenirs »

Je me suis retiré. L’Empereur m’a mis sur la voie, je vais continuer le détail de son mobilier. A l’extrémité, à droite, était un petit lit de campagne en fer, avec quatre aigles d’argent et des rideaux de soie.