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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/749

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colère, il était toute prévenance, ne négligeait rien pour consoler ceux qu’il avait maltraités : c’était un ton, un abandon où se peignaient sa bienveillance et ses regrets, quand les torts étaient graves, il éloignait, tenait à l’écart celui qui les avait eus ; mais, l’interdiction révolue, tout était oublié, l’exilé rentrait en grâce.

6. — L’Empereur est mieux. Il tombe sur un volume de Racine, le parcourt longtemps, et s’arrête enfin à la scène où Mithridate développe son plan d’agression contre les Romains. « Vous attendez que je vous déclame cette tirade, l’admiration des badauds. Il n’en sera rien, mon dottoraccio ; ce sont des fadaises mises en trop beaux vers. Passons à celle-ci ; elle est moins pompeuse, mais plus vraie, plus raisonnable. » Il se mit à lire avec une délicatesse, des inflexions qu’un homme habitué à la scène n’eût pas désavouées. Il se lassa bientôt cependant, jeta le livre, se renversa dans son fauteuil en murmurant le nom de sa mère, et tomba dans une espèce d’affaissement. Je cherchais à ranimer ses esprits abattus, je sentais sa poitrine se soulever, et comme un grand effort qui se faisait dans toute la machine. Il me fixait, ne disait mot ; je ne savais qu’augurer : une crise s’opère tout à coup ; il se trouve mieux. « Je suis mort, docteur : qu’en pensez-vous ? » Et se levant aussitôt, vient à moi, me toise, me pousse, me saisit par les favoris, les oreilles, m’adosse à la muraille. « Ah ! coquin de docteur, capo Corsino, vous êtes venu à Sainte-Hélène pour me droguer ; je vous ferai pendre, moi, à votre maison du cap Corse. » En même temps, il gesticulait, riait, me disait les choses les plus plaisantes.

7. — L’Empereur m’avait autorisé à me rendre à Plantation-House. J’allai faire ma première visite au gouverneur, qui me reçut en présence de son adjudant major, sir G. Gorrequer. Je me plaignis des restrictions, de la triste situation où elles avaient mis la santé de l’Empereur, et j’y joignis un pronostic sur l’issue de la maladie. Tous les symptômes tendent à confirmer que la diagnose d’une hépatite chronique est déjà établie. Je n’hésite pas à déclarer que le climat engendre, nourrit, accroît le mal, que l’issue d’une pareille affection ne peut qu’être dangereuse. « Vous le croyez, me dit sir Hudson ; le général Bonaparte se porte à merveille, malgré qu’il en ait. C’est le pays le plus salubre que je connaisse. — C’est pour cela qu’on l’a choisi ? — Sans doute. — Sans doute ! »

8. — L’Empereur continue à se bien trouver, il recouvre peu à peu de l’appétit.

L’Empereur fait appeler les enfants du grand maréchal. Il y avait