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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/755

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mais les organes se fatiguent. — Lu situation est affreuse ; nous, nous la supportons ; mais une femme ! Privée tout à coup de tout ce qui rend la vie aimable, combien elle est plus à plaindre ! Madame Bertrand se lève lard, sa position maladive la retient au lit ; elle ne peut aller à la messe, peut-être cependant qu’elle serait bien aise de l’entendre ? Je n’ai pas réfléchi qu’elle était souffrante, je n’ai vu que l’âge du bon abbé quand j’ai fixé l’heure de la cérémonie. Dites-lui que je donne l’ordre à Vignali d’aller officier chez elle, qu’elle lui fasse désormais connaître le moment qui lui convient ; ce prêtre est à sa disposition. »

16. — L’Empereur se trouve un peu mieux.

Il était à son bureau ; il avait autour de lui des règles, des compas, et roulait dans ses mains un crayon, instrument qui lui servait pour écrire, car il n’employait ordinairement ni encre, ni plume à cet usage. J’apercevais des plans, des tracés, des formules algébriques ; mais Napoléon sifflait : cette circonstance annonçait un orage. Je ne disais mot : nous devinions tous à sa manière d’être au travail les sensations qui l’agitaient. Si l’application était sérieuse, c’est qu’il était souffrant et le sujet ardu ; était-elle légère, enjouée, chantante ; entendions-nous fredonner quelques couplets, quelque air italien bien gai, les maux, les souvenirs avaient fait halte ; il avait oublié, il ne songeait plus, c’était toute l’amabilité de son caractère. S’il faisait, au contraire, résonner l’air dans ses lèvres, c’est qu’il était contrarié, mécontent, de mauvaise humeur, et qu’il n’attendait qu’un mot, une occasion pour éclater. Malheur à qui se présentait alors ! Napoléon agitait une tabatière oblongue, je saisis la circonstance, je lâchai un mot sur l’inconvénient du tabac. « Bon ! de l’importance médicale ! Comme si j’en usais ! Je ne quitte jamais cette tabatière, monsieur le docteur, à cause des médaillons dont elle est enchâssée. (C’étaient ceux d’Alexandre, César, Mithridate, etc.) Quant au tabac, je suis des semaines sans en prendre, je me borne à en respirer l’odeur. »

Il se jeta sur son sopha, ouvrit au hasard le second volume de sa correspondance inédite, parut frappé, se radoucit.

17. — L’Empereur est revenu sur son abdication, et s’est fort étendu sur les intrigues, les illusions de cette époque. Je m’étonnais que des hommes vieillis dans les affaires, que Sébastiani, que Lafayette, eussent été les dupes de Fouché, qu’ils eussent confondu les époques, et se fussent imaginé que les alliés accordassent à la défaite ce que cinq ans de victoires avaient peine à en obtenir. « Sans doute, me dit Napoléon ; la