Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/756

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

députation était ridicule et la bonhomie sans égale ; mais, comme le disaient les Viennois à l’occasion des prisonniers d’Olmutz, Lafayette laisse deux filles qui protégeront sa mémoire, la déclaration des droits et l’institution de la garde nationale. »

18. — Violente douleur au foie pendant la nuit. Le palais, les gencives, sont attaqués d’une irritation fluxionnaire.

19. — L’Empereur se trouve mieux.

21. — L’Empereur est mieux et se promène. L’exercice lui rend des forces, de la gaieté. J’étais debout, il vient à moi, m’adosse au mur, la main levée : « Grand coquin de dottoraccio ! vous me droguez. Que dites-vous de ma poitrine ? Allons, que pensez-vous de mes poumons ? Vous qui connaissez le cœur humain, dites, mourrai-je pulmonique ? Que décide Gallien ? — Qu’avec une voix comme la vôtre on n’a rien à craindre de la pulmonie. — Oui, mais ce foie ? » Son ton, son attitude, étaient changés ; il tenait la main sur l’hypocondre droit. « C’est là qu’est le mal ; c’est le défaut de la cuirasse, le climat l’a saisi. N’y pensons plus. »

22. — Douleur au foie plus vive. Elle s’étend sur le côté droit et se prolonge jusqu’à l’épaule.

L’Empereur se sentait un peu soulagé ; il reprit sa correspondance.

« Lorsque j’entrai au Caire, les Turcs, qui mesuraient ma taille au bruit de nos victoires, se figuraient que j’avais au moins six pieds. Je fus bien déchu lorsqu’ils me virent. J’étais moins haut, moins corporé qu’un de leurs mameluks, je ne pouvais commander une armée. Les imans poussaient le peuple à la révolté. Il fallut opposer les manœuvres aux manœuvres, je jouai le rôle d’inspiré.

« L’artillerie du Mokatan, le tonnerre qui se fit inopinément entendre, les pierreries de Malte que je distribuai aux plus influents, mon assurance, mon langage, déconcertèrent l’insurrection. Je fus un ami du prophète, un envoyé de Dieu, tous les cheiks étaient à moi. Ils m’embarrassèrent néanmoins ; ils me proposaient de proclamer l’islamisme et de prendre le turban. Nous verrons. — Vous auriez cent mille hommes ! — J’y penserai. — Toute l’Arabie se rangerait sous vos drapeaux. — Mais l’abstinence ? Nous sommes de l’Occident ; nous péririons si nous ne buvions pas de vin. — L’usage peut s’en tolérer. — Et la circoncision ? — N’est pas non plus indispensable ! » J’étais forcé dans tous mes retranchements. Je ne savais plus que dire, à quel obstacle me rattacher, je m’avisai d’une défaite. Puisqu’il en est ainsi, nous sommes tous musulmans, leur dis-je.