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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/775

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liers. On ne trouva rien ; on allait le relâcher lorsqu’on s’avisa qu’il fallait rendre compte à Paoli. « Un misérable qui court les champs pour demander l’aumône, dans les circonstances où nous sommes ! c’est un émissaire. Allez, cherchez, il a quelque message. — Impossible ; nous avons tenu ses vêtements fil à fil, nous avons tout désassemblé. — Sa mission est donc verbale, car il en a une ; cherchez, questionnez encore. — Nous avons tout épuisé. — Qu’a-t-il sur lui ?

— Une petite gourde. — Cassez-la. » On le fit. On trouva les commissions. Paoli n’était pas un homme facile à surprendre. »

La santé de l’Empereur ne se soutint pas longtemps. Ses forces étaient aux deux tiers épuisées, la latitude conservait toute son énergie, il fallait qu’il succombât. Aussi ne tarda-t-il pas à se trouver de nouveau dans une situation fâcheuse.

11. — Napoléon se plaint de douleurs de colique. Insomnie, agitation, malaise, les symptômes deviennent graves.

13. — La nuit a été bonne. J’accompagne l’Empereur au jardin. Il est faible, il s’assied, promène ses yeux à gauche, à droite, et me dit avec une expression pénible : « Ah ! docteur, où est la France ? où est son riant climat ? Si je pouvais la contempler encore ! Si je pouvais respirer au moins un peu d’air qui eût touché cet heureux pays ! Quel spécifique que le sol qui nous a vus naître ! Antée réparait ses forces en touchant la terre ; ce prodige se renouvellerait pour moi ; je le sens, je serais revivifié si j’apercevais nos côtes. »

14. — Napoléon est un peu mieux.

Je l’accompagne au jardin. « Alliez-vous souvent en Corse pendant que vous habitiez l’Italie ? — Rarement, Sire. — Vous en connaissez du moins l’histoire ; vous savez que je l’avais écrite ? — Oui, Sire. — J’étais alors tout feu, j’avais dix-huit ans. la lutte était ouverte : je brûlais de patriotisme ; je soumis mon travail à Raynal qui le trouva bien ; il me donna des conseils, je les écoutai ; celui d’imprimer, je ne le suivis pas. J’eus raison, car à l’âge où j’étais, j’avais dû me traîner dans l’ornière. J’étais neuf, étranger à la guerre, à l’administration, je n’avais pas le secret des affaires ; je jugeais ceux qui les avaient maniées avec la même impertinence qu’on me juge aujourd’hui. »

17. — L’Empereur était préoccupé, rêveur ; je cherchais quel pouvait être l’objet de sa sollicitude, lorsque j’aperçus le Prodrome entr’ouvert. J’avais deviné juste : Napoléon craignait d’être atteint de l’affection qui avait conduit son père au tombeau. Il n’osait avouer ses anxiétés, et demandait aux livres les lumières qu’il ne voulait pas tenir