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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/789

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la reconnaître. « Non, leur dis-je, effacez ; cela est clair comme l’existence du soleil : il n’y a que les aveugles qui ne voient pas. Les temps sont changés, je ne dois pas donner les mains à une sottise. » « Mais sortons, faisons un tour. » Nous sortîmes. Les Chinois achevaient leurs dispositions ; nous assistâmes à la prise d’eau. « C’est bien. Mais la volière, où la placer ? — Ici. — Non, plus loin, derrière vous ; elle sera mieux, la vue est plus ouverte. Vous réglerez cela, docteur, si toutefois il ne vous arrive pas d’occupations plus sérieuses. » Il m’en arriva en effet. L’Empereur, dont je croyais l’affection, sinon dissipée, du moins fort affaiblie, retomba tout à coup dans la situation où il était d’abord. Je recourus aux bains, aux adoucissants ; mais le coup était porté. Je ne suspendais un instant le mal que pour le voir se reproduire avec plus de force. Cette cruelle alternative m’effrayait ; je crus devoir en donner avis à sa famille, je lui demandai la permission d’écrire à Rome. Il y consentit. J’adressai ma lettre au chevalier Colonna.

19. — L’Empereur éprouve des frissons ; fièvre, toux sèche et fréquente, douleurs de tête, nausées ; la douleur au foie se fait sentir avec violence et s’étend jusqu’à l’épaule ; la respiration est difficile, douloureuse. Ces symptômes, qui se sont manifestés depuis le 7, sont au dernier point d’intensité.

26. — L’Empereur était mieux ; je lui avais parlé de Rome, tous ses souvenirs s’étaient reportés vers sa mère. Il rappelait son affection, sa tendresse, les soins qu’elle lui avait prodigués, et s’arrêtant tout à coup : « Vous m’êtes bien attaché, docteur ; les contrariétés, les peines, la fatigue, rien ne vous coûte dès qu’il s’agit de me soulager : tout cela cependant n’est pas la sollicitude maternelle. Ah ! maman Letizia ! » Et il se couvrit la tête. J’essayai de lui présenter des images moins tristes ; je lui parlai de l’Italie, de la Corse, de ceux qu’il avait aimés. Il m’écouta d’abord avec indifférence ; mais la conversation ayant amené le nom de sa nourrice, il s’étendit sur les soins qu’elle avait eus de son enfance, et l’espèce de culte qu’elle lui portait. « Elle voulut assister au couronnement, vint à Paris. Elle m’amusa beaucoup par ses histoires, la manière vive, animée, et les gesticulations à la génoise avec lesquelles elle les contait. Elle plut à Joséphine, à la famille, au pape qui en fut enchanté ; il lui donna force bénédictions, et ne me cacha pas la surprise que le bon sens, les saillies de la dévote lui avaient causée. »

31. — L’Empereur va mieux, il a repris des forces. On avait apporté