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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/800

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la faligue pour rien, la mort pour moins encore : il fût allé vaincre au bout de monde. Je lui avais d’ailleurs choisi des lieutenants qui allaient à sa taille. Belliard était aussi propre à l’administration qu’à la guerre ; il dirigeait les irrigations, encourageait les cultures, dispersait les beys ; il était agronome, gouverneur, capitaine, aussi redouté des mameluks qu’agréable aux cheiks. Il commandait l’avant-garde d’Alexandrie au Caire ; il eut l’initiative de toutes les privations : mais la nature l’avait doué d’un courage à toute épreuve ; le désert ne l’étonna point. Il contint la troupe qu’une foule d’autres cherchaient à soulever, et fut toujours dévoué : je savais quelles étaient sa capacité, sa constance. Je voulais l’emmener en Syrie, mais Desaix s’en défendit ; il tenait à le conserver, je le lui laissai. Ce brave Desaix ! il fut cruellement affecté des sottises du Directoire et de sa levée de boucliers. « Les revers né m’ont pas surpris, me manda-t-il lorsque je lui annonçai que la guerre s’était rallumée en Europe, mais m’ont vivement affligé. On voit bien que vous n’êtes plus dans cette Italie où vous avez eu tant de succès ; vous y retournerez, vous illustrerez la nation ; et nous, nous végéterons au milieu des Arabes. Qui connaîtra la grandeur de vos idées ? qui appréciera vos généreux desseins ? Cette guerre d’Allemagne est une horrible chose ; j’enrage de n’y être pas. Pensez du moins à nous, à notre situation, à notre passion pour la gloire ; mais, avant tout, sauvez la France. » Je ne fus pas fâché d’avoir son suffrage : je partis ; vous en savez le résultat. »

16. — L’Empereur a passé une nuit fort agitée ; il est toujours plongé dans la tristesse. Il est faible, abattu, Il voulut faire un tour dans le salon, les jambes fléchissaient sous lui ; il fut obligé de s’asseoir. « Elles sont à bout, me dit-il d’un ton peiné ; voyez-vous (il les palpait), il n’y a plus rien : c’est un squelette ! » Je m’efforçais de lui persuader que cet état de maigreur était une conséquence de la maladie, qui ne préjugeait rien sur le résultat final. « Non, docteur, tout doit avoir un terme, j’y touche ; et en vérité, je ne le regrette pas, je ne suis pas payé pour chérir la vie. >

25. — La prostration des forces est extrême ; l’Empereur a passé une nuit mauvaise, agitée.

26. — L’Empereur a passé une meilleure nuit. Il lit avec une avidité extrême les journaux arrivés d’Europe ; il apprend la mort de sa sœur, la princesse Élisa ; cette nouvelle le plonge dans la stupeur. Il était dans son fauteuil, la tête penchée, immobile, en proie au plus profond chagrin. De longs soupirs lui échappaient par intervalles ; il élevait les yeux,