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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/803

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Eh bien ! docteur, vous le voyez, Élisa vient de nous montrer le chemin ; la mort, qui semblait avoir oublié ma famille, commence à la frapper ; mon tour ne peut tarder longtemps. Docteur, vous êtes jeune, plein de santé ; mais moi ! je n’ai plus ni forces, ni activité, ni énergie, je ne suis plus Napoléon. Vous cherchez en vain à me rendre l’espérance, à rappeler la vie prête à s’éteindre. Vos soins ne peuvent rien contre la destinée ; elle est immuable, on n’appelle pas de ses décisions. La première personne de notre famille qui doit suivre Élisa dans la tombe est ce grand Napoléon, qui végète, qui plie sous le faix, et qui pourtant tient encore l’Europe en alarmes. Tout est fini, je vous le répète. »

Nous rentrâmes ; Napoléon se mit au lit. « Faites fermer mes fenêtres, docteur ; laissez-moi seul. » Il me manda plus tard ; mais il était abattu, défait, parlait de son fils, de Marie-Louise : la conversation était pénible ; je cherchai à la rompre, à lui rappeler des souvenirs qui n’alarmaient pas sa tendresse. « Je vous comprends, docteur ; eh bien ! soit, oublions, si toutefois le cœur d’un père peut oublier. »

27. — L’Empereur est plongé dans le plus grand abattement.

30. — L’Empereur est beaucoup plus mal ; il éprouve un tremblement général, de la chaleur et du froid tour à tour ; le pouls est nerveux et faible, la douleur de tête insupportable. « Eh bien ! docteur, que pensez-vous de l’état où je suis ? — Qu’il n’est pas inquiétant, qu’il s’améliore et serait bon si Votre Majesté consentait à faire usage d’un médicament d’ailleurs fort simple.— Duquel ? — Du sirop d’éther. — Qu’est-ce que du sirop d’éther. ? » Je le lui expliquai. « Quel est son effet ? » Je le lui dis. « Vous en êtes sûr ? — Oui, Sire. — Eh bien ! voyons, vite, donnez donc. » Je lui en donnai une cuillerée ; il la prit, fut soulagé ; mais elle lui laissa un arrière-goût dans la bouche : c’en fut assez, il n’en voulut plus.

31. — L’Empereur allait un peu mieux. Je le presse de prendre une nouvelle dose de sirop d’éther, il s’y refuse ; j’insiste, il s’impatiente et me dit que c’est peine perdue. « Mais, Sire, les effets en sont si sensibles. — Sensibles, assurément : je n’ai pas clos la paupière, jamais je ne passai de si mauvaise nuit. — Son action est si bénigne. — Pour les estomacs faits à la pharmacie, je le crois ; mais le mien est vierge, étranger aux remèdes. Je ne veux pas avoir deux maladies, celle de la nature et celle du médecin. »

2 janvier. — Napoléon se trouve un peu mieux. Il était dans son lit ; je voulais donner de l’air à la pièce. J’ouvre la croisée, elle m’échappe ; je