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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/802

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fait du bien. » Il se tut quelques instants, et reprit : « Les journaux annoncent que la princesse Élisa est morte d’une fièvre nerveuse, et qu’elle a fait Jérôme tuteur de ses enfants. Qu’est-ce que les médecins entendent par fièvre nerveuse ? » Je le lui dis. « Avez-vous connu Élisa lorsqu’elle était grande-duchesse de Toscane ? — Oui, Sire. — Elle était devenue extrêmement délicate. Elle m’assurait qu’elle eût été obligée de garder constamment le lit, si elle eût voulu s’écouter, qu’il n’y avait que sa grande activité qui pût la faire vivre. Je suis de son avis, je pense qu’une vie active est toujours favorable à la santé ; j’en ai fait l’expérience sur moi-même, et vous pouvez observer aujourd’hui les conséquences du régime contraire. Dès son enfance, Élisa fut fière, indépendante, elle nous tenait tête à tous. Elle avait de l’esprit, une activité prodigieuse, et connaissait les affaires de son cabinet, de ses États, aussi bien qu’eût pu le faire le plus habile diplomate. C’était elle qui s’occupait des relations extérieures, et quoiqu’elle se vît avec peine obligée de s’adresser à mes ministres, elle correspondait directement avec eux, leur résistait souvent, et quelquefois même me forçait de me mêler des discussions. Vive, sensible, elle était facilement émue. La moindre contrariété suffisait pour la mettre en colère, mais cette colère s’évanouissait presque aussitôt, car Élisa avait un cœur excellent, généreux, élevé. Elle aimait le luxe, elle cultivait les sciences et les arts, et avait l’ambition d’exercer une espèce de suprématie sur ses sœurs. Elle voulait être au-dessus d’elles par l’autorité, comme elle l’était par l’âge. Je ne sais à quel point on doit ajouter foi à la nouvelle de sa mort telle qu’elle est rapportée dans les journaux ; mais ce qui me parait dénué de fondement, c’est qu’elle ait chargé Jérôme de la tutelle de ses enfants. Il faudrait supposer, pour que cela fût admissible, que Baciocchi n’existe plus, ou qu’il est absent, car dans le cas contraire il est de droit leur tuteur naturel et légal. Avez-vous connu le prince Baciocchi ? — Je l’ai vu quelquefois ; mais je ne lui ai jamais parlé. — Quelle opinion avait-on de lui à Florence ? — On le regardait comme un brave homme qui s’occupait peu des affaires, et ne songeait qu’à jouir des avantages de sa situation. — On ne se trompait pas. Il a toujours beaucoup chéri la vie privée, et n’a jamais aimé à s’occuper que de lui-même. Son caractère pacifique contrastait singulièrement avec l’esprit remuant de la princesse Élisa. Savez-vous combien d’enfants elle a laissés ? — Elle eut une jolie petite fille en Toscane, un garçon dans les États Vénitiens. J’ignore si elle en a eu depuis. » L’Empereur se leva, s’appuya sur mon bras et me regardant fixement :