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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/817

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semble que je n’ai plus de bas-ventre. Tout le mal que j’éprouve est vers la rate et l’extrémité gauche de l’estomac ; je le sens, ma mort ne peut être éloignée. »

16. — L’Empereur est couché, plongé dans une somnolence léthargique qu’il ne peut vaincre. « En quel état je suis tombé ! J’étais si actif, si alerte ! à peine si je puis à présent soulever ma paupière ; mais je ne suis plus Napoléon. » Et il referme ses yeux. Il cède cependant à mes instances sur la fin du jour : il se lève, se place sur un sofa, et ne consent qu’avec peine à prendre quelque nourriture.

Madame Bertrand survient ; il veut l’associer à ses promenades. « Nous sortirons de bonne heure : nous jouirons de l’air frais du matin ; nous gagnerons de l’appétit ; nous échapperons à l’action du climat. Vous, Hortense et moi, sommes les plus malades, il faut que nous nous aidions. »

17. — La nuit a été assez tranquille. Napoléon sort en calèche ; ce sera la dernière fois ! encore fut-il obligé de rentrer presque aussitôt.

Après avoir pris quelque nourriture, l’Empereur est atteint d’une vive douleur de tête, et d’un sentiment de froid glacial qui l’affecte partout, mais principalement entre les deux épaules, et vers les extrémités inférieures.

« Accompagnez Buonavita à James-Town, me dit l’Empereur ; rendez lui tous les soins, donnez-lui tous les conseils qu’exige un si long trajet. » J’allai, je conduisis l’abbé jusqu’au bâtiment qui devait le transporter en Europe et rentrai à Longwood. « Est-il embarqué ? me demanda Napoléon. — Oui, Sire. — Commodément ? — Le navire parait bon. — L’équipage ? — Bien composé. — Tant mieux, je voudrais déjà savoir ce brave ecclésiastique à Rome, et quitte des accidents de la traversée. Quel accueil pensez-vous qu’on lui fasse à Rome ? il sera bien reçu ; ne le croyez-vous pas ? » Tardant à répondre, il reprit : « Ils me le doivent ; car enfin sans moi où en serait l’Église ? »

18. — L’Empereur a passé une assez bonne nuit ; cependant ses forces vont décroissant. Son propos est gai, il me raille sur mes pilules ; je suis assez heureux pour faire quelques instants diversion à sa douleur. La toux se réveille ; je cours à la potion calmante. « A d’autres, medit Napoléon, je n’en veux plus. — Mais, Sire, la toux… — Sans doute ! la toux, le foie, l’estomac ! J’expire si je ne me soumets aux juleps… » Je fus obligé de lâcher prise. Ayant esquivé le remède, il était gai, satisfait ; j’entretenais cette légère contradiction,