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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/818

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qui prolonge, anime la conversation. Il m’opposait des cas, je lui en rendais compte ; j’avais souvent raison malgré moi. Il changeait alors de point d’attaque, allait, revenait, et finissait toujours par son adage, que rien n’était funeste comme les remèdes pris à l’intérieur. Je n’avais garde d’admettre cette conclusion ; je n’eusse pu désormais rien obtenir. Je la combattis vivement, et lui fis voir comment elle était fausse. « La nature ! sans doute elle est puissante, inépuisable, mais encore faut-il la secourir. Dans le plus grand nombre de cas, elle a besoin d’être saisie, interprétée. »

19. — La nuit a été assez bonne, mais le malade est tout à fait abattu.

L’Empereur n’a pris que quelques cuillerées de soupe. Il se lève, sa faiblesse s’accroît encore. Anxiété générale ; état d’agitation accompagné d’humeur sombre et chagrine ; cela dure jusqu’à cinq heures de l’après-midi. Napoléon a essayé d’avaler une cuillerée de soupe, et l’a rejetée presque aussitôt.

20. — L’Empereur éprouve une forte oppression à l’estomac et une espèce de suffocation fatigante.

Le malade se plaint surtout d’une crampe à la milza et à la stacca sinistra dello stomaco : ce sont ses expressions.

Madame Bertrand est survenue. Il a fait un effort et s’est montré moins abattu. Il lui a demandé des nouvelles de sa santé, et après avoir conversé quelques instants avec une espèce de gaieté : « Il faut nous préparer à la sentence fatale ; vous, Hortense et moi, nous sommes destinés à la subir sur ce vilain rocher. J’irai le premier, vous viendrez ensuite, Hortense suivra ; nous nous retrouverons tous trois dans les Champs-Elysées. » Et il se mit à réciter ces vers :

Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre :
Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre ;
Je vais au roi des rois demander aujourd’hui
Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui.

___________________(Voltaire.)

21. — L’Empereur a été fort agité pendant toute la nuit.

L’Empereur n’a pas dormi de toute la journée ; il a lu lui-même pendant quelque temps, puis il a demandé qu’on lui fit la lecture. Napoléon a pris plaisir à répéter des petites chansons italiennes, à causer, à rire et à plaisanter, comme c’est assez son habitude lorsqu’il est gai et moins souffrant.

23. — L’Empereur a un peu dormi.