Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/833

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

six ans dans la torture du secret. Dans cette île inhospitalière, vous m’avez donné pour demeure l’endroit le moins fait pour être habité, celui où le climat meurtrier du tropique se fait le plus sentir. Il m’a fallu me renfermer entre quatre cloisons, dans un air malsain, moi qui parcourais à cheval toute l’Europe ! Vous m’avez assassiné longuement, en détail, avec préméditation, et l’infâme Hudson a été l’exécuteur des hautes-œuvres de vos ministres. » L’Empereur continua encore quelque temps avec la même chaleur, et termina par ces mots : « Vous finirez comme la superbe république de Venise, et moi, mourant sur cet affreux rocher, privé des miens et manquant de tout, je lègue l’opprobre et l’horreur de ma mort à la famille régnante d’Angleterre ! »

Les forces lui manquent, il tombe dans une espèce d’évanouissement. Cependant il se trouve un peu mieux sur le soir. A huit heures il prend quelque nourriture sans éprouver de vomissement et dort jusqu’à onze heures et demie ; alors il s’éveille brusquement et se trouve inondé d’une sueur froide et visqueuse.

20. — Les accidents qui avaient eu lieu dans la journée ont duré jusqu’à trois heures après minuit.

Le malade est assez tranquille pendant la soirée ; toutefois il se plaint d’une sensation douloureuse. Il demande, suivant sa coutume, qu’on lui fasse la lecture, et s’endort presque aussitôt. On la continue, parce qu’on ne l’interrompt d’habitude que quand il l’ordonne. Il se réveille et s’enquiert de quoi il s’agit. « Des prêtres, lui répond-on, et des entraves qu’ils vous ont suscitées ; l’auteur les dépeint comme des hommes insensibles aux bienfaits. — Il extravague. C’est la classe d’hommes qui m’a le moins coûté. Ils étaient tous contre moi ; je leur permis de porter des bas violets, ils furent tous pour moi. »

21. — L’Empereur n’a presque pas dormi, cependant il est un peu mieux qu’hier ; il a pris de la nourriture sans éprouver de vomissement, et au point du jour il s’est trouvé assez de forces pour se lever et passer trois heures partie à dicter et partie à écrire. Ce travail n’a d’abord été suivi d’aucun inconvénient ; mais vers les neuf heures le vomissement s’est déclaré ; Napoléon s’est trouvé fort incommodé le reste de la journée. A une heure et demie il mande Vignali. « Savez-vous, abbé, ce que c’est qu’une chambre ardente ? — Oui, Sire. — En avez vous desservi ? — Aucune. — Eh bien, vous desservirez la mienne. » Il entre à cet égard dans les plus grands détails, et donne au prêtre de longues instructions. Sa figure était animée, convulsive ; je suivais avec