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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/851

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vate blanche surmontée d’une cravate noire bouclée par derrière ; grand cordon de la Légion d’honneur, uniforme de colonel de chasseurs de la garde[1], décoré des ordres de la Légion d’honneur et de la couronne de fer ; longues bottes à l’écuyère avec de petits éperons ; enfin chapeau à trois cornes. Ainsi vêtu, Napoléon fut enlevé, à cinq heures et trois quarts, de cette salle où la foule pénétra aussitôt. Le linge, le drap qui avait servi à la dissection du cadavre, tout fut emporté, déchiré, distribué ; ils étaient teints de sang, chacun voulait en avoir un lambeau.

Napoléon fut exposé dans sa petite chambre à coucher qu’on avait convertie en chambre ardente. Elle était tendue en drap noir que l’on avait tiré du magasin de la compagnie des Indes, à James-Town. Ce fut cette circonstance qui fit connaître la maladie et la mort de Napoléon dans l’île. Étonnés de voir transporter tant d’étoffes, les habitants et les employés eux-mêmes cherchaient quel pouvait être l’usage auquel on les destinait. Ils n’en voyaient aucun. La curiosité s’accrut et devint générale à mesure que l’on connut ce qui l’avait fait naître. Les idées les plus étranges, les bruits les plus bizarres commençaient à se propager, lorsqu’un Chinois révéla le mystère. Ce ne fut qu’un cri de surprise : chacun était étonné, confondu. « Comment ! le général Bonaparte était sérieusement malade ! On nous disait qu’il se portait si bien ! »

Le cadavre, qui n’avait pu être embaumé, faute des substances nécessaires, et dont la blancheur était vraiment extraordinaire, fut déposé sur un des lits de campagne, surmonté de petits rideaux blancs qui servaient de sarcophage !!! Le manteau de drap bleu que Napoléon avait porté à la bataille de Marengo servait de couverture. Les pieds et les mains étaient libres ; l’épée au côté gauche, et un crucifix sur la poitrine. A quelque distance du corps était le vase d’argent qui contenait le cœur et l’estomac qu’on m’avait forcé d’y déposer. Derrière la tête était un autel où le prêtre, en surplis et en étole, récitait des prières. Toutes les personnes de la suite de Napoléon, officiers et domestiques. en habit de deuil, se tenaient debout, à gauche. Le docteur Arnott veillait sur le cadavre, qui avait été mis sous sa responsabilité personnelle.

Depuis plusieurs heures la foule obstruait les avenues et se pressait à la porte de la chambre ardente. On ouvrit : elle entra, contempla ces restes inanimés, sans confusion, sans tumulte, avec un silence religieux. Le capitaine Croquat, officier d’ordonnance de Longwood, réglait l’ordre dans lequel chacun se présentait. Les officiers et les sous-officiers du 20e et du 66e furent admis les premiers ; les autres ensuite. Tous

  1. Vert, avec des parements jaunes.