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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/860

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insistâmes ; mais il y avait encore de la viande salée, un peu d’eau, nous pouvions attendce ; il allait forcer de voiles. Nous forçâmes en effet. Le ciel s’était obscurci, le vent était impétueux, la mer soulevée par les orages ; nous filions jusqu’à neuf, onze, douze nœuds à l’heure. Cette tempête nous fut fatale : elle couvrit d’eau deux caisses où nous cultivions les branches de saule que nous avions cueillies sur le tombeau de l’Empereur, et les fit périr.

L’Afrique était dépassée. Nous étions en Europe, dans les limites qu’avait indiquées Napoléon : ses exécuteurs testamentaires prirent connaissance de ses dernières dispositions. Elles devaient rester dans le cœur de ceux qu’elles intéressent ; mais l’Angleterre, où l’on fait profit de tout, les a livrées pour un shelling. Elles sont publiques.

La légation française m’avait délivré un passe-port, je fis sur-le-champ mes dispositions pour me rendre à Rome. Je quittai Londres, j’arrivai à Douvres, à Calais, à Paris, où je me présentai à l’ambassade autrichienne, qui me refusa son visa, Je n’en continuai pas moins mon voyage, mais la police m’attendait au pied des monts ; c’étaient des commissaires, des inspecteurs, des délégués, que sais-je ! Le premier entre les mains duquel je tombai fut le génie tutélaire de Chambéry. Il s’excusa, fureta, ne laissa pas un de mes effets qu’il ne l’eût tenu pièce à pièce ; il était désolé de cette perquisition sévère, mais c’était l’usage. Malheureusement il aperçut dans la chaleur de son homélie une lettre ouverte que je portais de Londres à Turin : il la lut, la trouva mystérieuse ; il en était navré, mais il ne pouvait se dispenser de l’envoyer au ministre. Je l’abandonnai à ses visions et regagnai l’hôtel ; j’y arrivais à peine, qu’il me mandait déjà ; il fouilla, dépeça encore, et trouva je ne sais plus quels calculs algébriques. Pour le coup il n’y tint plus ; la conspiration était patente, je ne pouvais le nier. J’eus beau protester qu’il n’en était rien, que ces signes étaient connus, usités ; que les sciences… « Fouilli aux révolutionnaires. Respectez le serviteur du roi. — Comment l’offensai-je ? — Par des propos qu’il ne doit pas entendre. — Quoi ! que voulez-vous dire ? — Que la rébellion n’a pas assez fouillé la terre, qu’elle peut y puiser encore de quoi ébranler les trônes, disperser la légitimité, affronter, battre l’Europe ! — Moi ? — Vous ! — Je n’y songeais pas. — À quoi songez-vous donc ? que vous proposez-vous ? — De franchir les monts au plus vite, d’arriver à Turin. — Vous pensez que je l’ignore ? — Comment ? que voulez-vous dire ? — Que je sais tout. Allons, au point où vous en êtes, il n’y a que la franchise qui puisse vous sauver : quel est cet X ? — Quel X ? —