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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/893

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taient plus que des murs délabrés et couverts d’inscriptions tracées par les visiteurs… De cette pensée active rien n’était resté, rien de cette douleur, rien de cette mort ! la mort avait tout emporté avec lui.

M. Marchand, le dépositaire du testament de Napoléon, montra ensuite la chambre à coucher et le cabinet de travail, ou plutôt il montra une écurie, avec ses crèches et son fumier. C’est pourtant dans ces murailles insultées et profanées que l’Empereur avait dicté le récit de ses campagnes d’Italie et d’Égypte. La triste visite fut poursuivie lentement, et comme on marche dans un lieu funèbre ; rien ne fut oublié, non pas même les bâtiments qui avaient servi de demeure à MM. les généraux Gourgaud, de Montholon, à MM. de Las-Cases, père et fils. Mais ces chétives habitations avaient abrité de longues et loyales fidélités, d’illustres dévouements, d’admirables respects. Enfin, après quelques circuits nouveaux dans la demeure si délabrée, si misérable du grand prisonnier, le signal du départ fut donné. On céda surtout aux menaces d’un brouillard épais qui allait se transformer en une pluie battante. Sur cet affreux plateau, où se mêlent sans transition une chaleur brûlante et des brumes glaciales, la mort devait venir lente, cruelle, certaine, et pour que le royal prisonnier ait résisté si longtemps, il faut qu’il ait été bien courageux et bien fort.

Ces courses, qui seront de l’histoire, car les voyageurs foulaient des ruines saintes, recommencèrent le samedi 10. Le lendemain dimanche, a onze heures, la messe fut dite à bord du vaisseau par l’abbé Coquereau. Toutes les habitations étaient plongées dans le silence. C’était le silence d’un dimanche d’Angleterre. Toutefois quelques personnes voulurent débarquer et rentrèrent dans l’île. Le lendemain, les courses au tombeau recommencèrent.

Ainsi se passèrent les journées suivantes : même curiosité, même deuil, mêmes respects, même silence ; les voyageurs comprenaient qu’ils allaient emporter avec eux ce qui rendait cette île de Sainte-Hélène une place austère et sacrée, et ils se hâtaient de la parcourir dans tous les sens. Les nouveaux venus demandaient aux anciens amis de Sa Majesté exilée les histoires qu’ils en savaient, et ceux-ci, sans se faire prier, répétaient à qui voulait les entendre tous leurs tristes souvenirs ; l’affection de l’Empereur pour ses deux pauvres petits Chinois, ses travaux aratoires, dans lesquels il était si gauche, ses jeux avec les enfants du grand-maréchal ; là, une conversation mémorable, quelques paroles sublimes, un portrait admirable de ses amis morts, de sa mère ; plus loin, il avait prévu les graves conséquences de quelques événements