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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/901

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de ces navires, la Belle-Poule lançant ses bordées de canon. En face, une immense montagne, couronnée par d’autres batteries, saluait les augustes dépouilles par ses volées précipitées ; les équipages, groupés sur les ponts, suivaient la marche du cortége, se pressant tout à coup dans les ravins ou serpentant sur le revers d’une colline, s’effaçant à demi dans les brumes légères et reparaissant dès qu’un rayon de soleil venait à percer les nuages. On attcignit et on dépassa bientôt Briars ; ce point est à un quart de lieuede la ville ; on s’arrêta un instant pour reprendre le pas solennel d’une marche funèbre ; la musique fit alors retentir des sons d’une harmonie qui remuait l’âme. A James’Town, la milice s’arrêta, forma la haie depuis la première maison jusqu’à l’embarcadère du quai ; les fusils étaient renversés, le canon à terre, les soldats appuyaient la tête sur la crosse. Toutes les maisons étaient closes, les rues désertes ; les fenêtres seules et les terrasses étaient garnies de spectateurs silencieux, la plupart en deuil ; la cérémonie reçut alors son caractère auguste et solennel de réparation : de toutes parts les honneurs royaux étaient déployés pour celui qui avait reçu si longtemps, si stoïquement, avec une fierté si noble, l’insulte et l’outrage. Le ciel, devenu d’azur, semblait illuminé par un reflet du soleil d’Austerlitz ; à la fin, le même homme à qui l’Angleterre accordait à peine le litre de Général ! l’Angleterre le saluait Empereur et Roi. Le cortége aperçut bientôt les brillants états-majors des corvettes, en costume à la fois sévère et riche, bleu et or, et le jeune prince de Joinville qui attendait les restes de l’Empereur avec autant d’émotion que de patience et de modestie. La musique du prince exécuta des harmonies funèbres. L’abbé Coquereau vint se placer sur les devants et offrit de l’cau bénite au jeune chef de l’expédition ; c’est alors que le gouverneur anglais fit la remise officielle des restes mortels de l’empereur Napoléon. Pendant ce temps, les chaloupes, décorées d’aigles et d’ornements noirs, avaient accosté le quai ; quelques minutes après, le cercueil y était descendu.

A six heures on poussa au large, les trois couleurs parurent à la tête du mât, un immense éclair illumina l’horizon, une ligne de feu sillonna les flancs de la Belle-Poule, de l’Oreste et de la Favorite. On y répondit de toutes parts : cent coups de canon annoncèrent enfin que tu nous appartenais de nouveau, ô toi, notre maître et le maître de l’avenir, sublime Empereur ! La marche des canots fut lente, et trois fois, pendant le trajet, des bordées de cent coups de canon les saluèrent.

Le cercueil, couvert du manteau impérial, entouré d’intrépides officiers dans la tenue d’une grave cérémonie, d’un prêtre en habits sa-