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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/114

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RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

plein : appuyé au montant de la fenêtre, ses yeux plongèrent au loin vers la mer. L’eau luisait, sous la lune, d’une clarté d’argent. Dans le pâle scintillement des ondes un buste de jeune femme surnageait. La tête, renversée en arrière, traînait une longue chevelure flottante, semée de pierres précieuses qui étaient peut-être des reflets d’étoiles. Les traits du visage, éclairés d’en haut, brillaient étrangement d’une splendeur molle et fluide où les yeux s’avivaient comme deux émeraudes, où les lèvres s’épanouissaient comme une rose mystique du jardin de la mer. Gralon tendit les bras, cria dans l’espace « Ahès !… Ahes !… » En cette apparition il avait reconnu sa fille. Il l’appelait encore qu’elle avait fui, avec la mobilité d’un poisson. Mais les deux derniers vers de son incantation demeuraient suspendus dans l’air. Et les rayons de la lune les propageaient au loin en de pâles et lentes vibrations : telles les cordes lumineuses d’une lyre immense.

Ahès, brêman Mary Morgân,
E skeud an oabr, d’an noz, a gân.

[Ahès, maintenant Mary Morgane, — À la lueur du firmament dans la nuit chante].