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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/115

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AU PAYS DES PARDONS


C’était une croyance des Celtes qu’une fée, idéalement belle et cruellement perverse, habitait la mer. Elle avait, disait-on, la figure, les seins et les hanches d’une vierge. Le reste de son corps était d’un monstre, couvert d’écailles et terminé par une queue fourchue. On voyait son torse incomparable surgir au-dessus des eaux, par les soirs alourdis qui précèdent les grands orages. Sa chevelure dénouée ondulait harmonieusement sur les vagues, et, de ses lèvres, un hymne montait, d’une langueur triste et si passionnée que les barques s’arrêtaient pour l’entendre. Les matelots éperdus, fascinés, ne pouvaient détourner leurs yeux de l’ensorceleuse dont les bras blancs leur faisaient signe. Une folie s’emparait d’eux. Et, dépouillant leurs vêtements, ils se jetaient à la nage, tout nus, pour la joindre. Elle les regardait venir, de ses prunelles ardentes où des flammes vertes brûlaient, et elle les étreignait sur son cœur, à tour de rôle, avec la force déchaînée d’un élément. Tout aussitôt le ciel se fermait ; les nuages tombaient à longs plis noirs, ainsi qu’une draperie funèbre, la houle se creusait en un lit sou-