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AU PAYS DES PARDONS

servante qui me guide pousse une porte au fond de la salle et m’introduit dans un retrait où il y a une vraie table et — Dieu me pardonne — des chaises. Ici, tout est paix et silence : la croisée s’ouvre sur un verger et, plus bas, sur la vallée toujours parée du grand voile nuptial que déroulent autour des peupliers et des saules les mystérieuses fées des eaux. C’est un coin de solitude, tel que je n’en eusse pas osé rêver. Je m’apprête à faire honneur à la « portion » de ragoût qui fume devant moi, quand un ronflement parti d’un des angles obscurs de la chambre vient soudain m’avertir que j’ai un compagnon et que je vais même, grâce à lui, dîner en musique.

« — Ce n’est rien, » murmure la servante, « c’est l’homme aux chansons : il s’est mis là pour faire un somme ; il ne vous gênera point. »

Et, après cette explication sommaire, elle s’esquive. Voyons cependant quel peut bien être cet homme aux chansons ! Je m’approche du dormeur il est couché de son long sur le plancher, la face tournée vers la muraille, la tête appuyée à un havresac bourré de paperasses. Ce vieux