Aller au contenu

Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

double soliloque me suit quelque temps, puis s’évanouit dans le protond silence. C’est maintenant une paix vaste, le calme saisissant d’un désert. Dans la direction du nord, les bois du Kranou moutonnent à perte de vue ; vers l’ouest, la mer flambe ainsi qu’un bain de métal en fusion. Rumengol, son pardon, ses mendiants, ses chanteurs, tout cela semble avoir glissé dans l’ombre du ravin ; la croupe dorée du pays d’Hanvec s’affaisse à son tour, tandis que se déroulent au loin, sur le fond du ciel, les cimes bleuâtres de l’Aré. Pas un clocher à l’horizon, pas un toit, pas même une de ces grêles fumées, révélatrices de la présence de l’homme. On a de nouveau la sensation d’une terre vierge, d’un monde à peine éveillé du chaos. Le paysage tout entier apparaît comme figé encore dans la raideur des choses primitives, et l’on jurerait qu’on n’y a point changé de place à une pierre depuis le fabuleux soir d’automne où le soleil s’y coucha sur la mort de Gralon.

Soudain, un cri part, un sourd et sinistre mugissement déchire la solitude : du sein d’une colline éventrée un train se précipite, et la civili-